J’ai fait une visite dans un groupe de Gilets Jaunes sur Facebook. J’y ai croisé une vieille dame à lunette convaincue que les problèmes de la France viennent d’une loi sur la banque de France signée en 1973, la loi ‘Pompidou-Giscard-Rothschild’. « Mais réveillez-vous ! » m’écrit-elle.
Je viens de lui rentrer dans le lard et d’essayer d’expliquer que notre problème est dans la structure même de la société. Elle ne comprend pas et m’invite à nouveau à ouvrir les yeux en me renseignant sur cette loi. La petite histoire est connue et je sais que la fixation sur une seule loi comme source de nos maux signifie une recherche de causes ‘clé en main’. Je sais aussi que si la loi ‘Rothschild’ est visée, ça sent potentiellement le complotiste aigu voir l’antisémite. Mais ça n’est pas le cas. Elle ne pointe pas du doigt les boucs émissaires historiques de la droite et des paranos. J’essaie de poser le débat, de complexifier. C’est une erreur. Aider par d’autres, elle me répète qu’on me ment, que le réveil va être dur. Je perds patience.
C’est vraiment la panade sur ce forum et je me demande si le choix de rejoindre le mouvement —notamment pour éviter qu’il soit squatté par les forces de la réaction — ne devrait pas également s’appliquer aux groupes FB des GJ. Parce que si le plus important pour l’instant c’est sans aucun doute de continuer à ouvrir la situation, ça peut vouloir dire ouvrir des canaux de discussions.
Je connais suffisamment le sujet des complots et de leur présence en ligne pour affirmer une chose : On ne réglera pas le problème du complotisme chez les GJ à la manière des journalistes. Leur expliquer que ce qu’ils croient est faux ne nous mènera nul part. Il va falloir dialoguer plutôt que confronter.
On reconnait facilement les fachos en ligne, on arrive même à distinguer des nouveaux venus, les néo-réactionnaires et l’alt-right. C’est utile parce qu’il est évident qu’aucun dialogue ne peut être ouvert avec eux, donc autant que les choses soient rapidement claires. Mais c’est aussi utile pour distinguer en négatif ceux et celles qui ne s’accrochent à certaines idées bancales ou nauséabondes que pour avoir l’impression de comprendre ce qui leur arrive.
Si l’idée est effectivement de dialoguer et d'ouvrir, au risque de choquer, je pense qu’on doit élargir les enjeux pour distinguer des points d’accord primaires, trouver des concordances, abstraites, idéalement théoriques. Le plus large qu’on puisse faire c’est que « Nous nous battons tous pour l’avenir », mais on ne changera pas l’avis de grand monde en commençant par là. Voilà plutôt en exemple ce que j’aurais du dire à la vielle dame :
« Mais vous êtes contre l’oligarchie financière ? Moi aussi ! Laissez-moi vous poser quelques questions qui nous mettrons d’accord. »
J’aurais embrayé sur les questions de répartition de l’argent et du pouvoir, et nous avancions vers des réalités tangibles plutôt que des explications toutes faites.
Y a du boulot.
Ajout du 11/12 :
Tous ceux et celles avec lesquels j'ai échangé en ligne ont été cordiaux. Ceux qui avançaient l'immigration comme une priorité, via le Pact de Marrakech, l'ont fait sur une base économique, le "y a pas d'argent pour nous, y en a pas pour les autres". J'ai l'impression qu'on est très loin des tarés que j'ai l'habitude de croiser sur la toile. Et pourtant ils sont aussi du mouvement. Dans une vidéo j'ai vu un mec porter un gilet jaune flanqué de l'inscription 'Deus Vult, un cri de ralliement des croisés.