27/12/2017

Walter Benjamin : Thèses sur le concept d’histoire

Voici un texte un peu particulier, du genre obscure. Je flirtais déjà avec le Messianisme Juif, #TIQQUN et d'autres, et avec la gnose chrétienne et sa propre "vision" historique, mais c'est Zizek et Judith Butler qui m'ont grandement donné envie de me frotter à Walter Benjamin. Ce texte est pour l'instant celui qui m'intrigue le plus, raison pour laquelle je vous le mets ici. 


Je vous recommande l'analyse qu'en fait Daniel Bensaïd que vous pouvez trouver ici: http://danielbensaid.org/Walter-Benjamin-theses-sur-le.
Elle est inachevée il me semble mais déjà bien complète.
Si vous préférez acheter des livres, l'analyse de Michael Löwy dans son livre Avertissement d'incendie est très bien aussi.
Et si vous maitrisez l'anglais, vous pouvez suivre ce cours de Judith Butler à la European Graduate School : https://www.youtube.com/watch?v=dtRwOkGV-B4.


Walter Benjamin, thèses sur le concept d’histoire

- I -

« On connaît la légende de l’automate capable de répondre dans une partie d’échecs, à chaque coup de son partenaire et de s’assurer le succès de la partie. Une poupée en costume turc, narghilé à la bouche, est assise devant l’échiquier qui repose sur une vaste table. Un système de miroirs crée l’illusion que le regard peut traverser cette table de part en part. En vérité un nain bossu y est tapi, maître dans l’art des échecs et qui, par des ficelles, dirige la main de la poupée. »

- II -

« “L’un des traits les plus surprenants de l’âme humaine, à côté de tant d’égoïsme dans le détail, est que le présent en général soit sans envie quant à son avenir.” Cette réflexion de Lotze conduit à penser que notre image du bonheur est marquée tout entière par le temps où nous a maintenant relégués le cours de notre propre existence. Le bonheur que nous pourrions envier ne concerne plus que l’air que nous avons respiré, les hommes auxquels nous aurions pu parler, les femmes qui auraient pu se donner à nous. Autrement dit, l’image du bonheur est inséparable de celle de la délivrance. Il en va de même de l’image du passé que l’Histoire fait sienne. Le passé apporte avec lui un index temporel qui le renvoie à la délivrance. Il existe une entente tacite entre les générations passées et la nôtre. Sur Terre nous avons été attendus. À nous, comme à chaque génération précédente, fut accordée une faible force messianique sur laquelle le passé fait valoir une prétention. Cette prétention, il est juste de ne la point négliger. Quiconque professe le matérialisme historique sait pour quelles raisons. »

- III -

« Le chroniqueur qui narre les événements, sans distinction entre les grands et les petits, tient compte, ce faisant, de la vérité que voici : de tout ce qui jamais advint rien ne doit être considéré comme perdu pour l’histoire. » « Certes ce n’est qu’à l’humanité délivrée qu’appartient pleinement son passé. C’est dire que pour elle seule, à chacun de ses moments, son passé est devenu citable. Chacun des instants qu’elle a vécus devient une citation à l’ordre du jour – et ce jour est justement le dernier. »

- IV -

« Occupez-vous d’abord de vous nourrir et de vous vêtir, ensuite vous écherra de lui-même le royaume de Dieu. »
Hegel, 1807.

« La lutte des classes, que jamais ne perd de vue l’historien instruit à l’école de Marx est une lutte pour les choses brutes et matérielles sans lesquelles il n’est rien de raffiné ni de spirituel. Mais, dans la lutte des classes, ce raffiné, ce spirituel se présente tout autrement que comme un butin qui échoit au vainqueur ; ici, c’est comme confiance, comme courage, comme humour, comme ruse, comme inébranlable fermeté, qu’ils vivent et agissent rétrospectivement dans le lointain du temps. Les remet en question chaque nouvelle victoire des dominants. Comme certaines fleurs orientent leur corolle vers le soleil, ainsi le passé, par une secrète sorte d’héliotropisme, tend à se tourner vers le soleil en train de se lever dans le ciel de l’histoire. Quiconque professe le matérialisme historique ne peut que s’entendre à discerner ce plus imperceptible de tous les changements. »

- V -

« Le vrai visage de l’histoire s’éloigne au galop. On ne retient le passé que comme une image qui, à l’instant où elle se laisse reconnaître, laisse une lueur qui jamais ne se reverra. “La vérité ne nous échappera pas” – ce mot de Gottfried Keller caractérise avec exactitude, dans l’image de l’histoire que se font les historicistes, le point où le matérialisme historique, à travers cette image, opère sa percée. Irrécupérable est en effet toute image du passé qui menace de disparaître avec chaque instant présent qui, en elle, ne s’est pas reconnu visé. (La joyeuse nouvelle qu’apporte en haletant l’historiographe du passé sort d’une bouche qui, à l’instant peut-être où elle s’ouvre, déjà parle dans le vide.). »

- VI -

« Articuler historiquement le passé ne signifie pas le connaître « tel qu’il a été effectivement », mais bien plutôt devenir maître d’un souvenir tel qu’il brille à l’instant d’un danger. Au matérialisme historique il appartient de retenir fermement une image du passé telle qu’elle s’impose, à l’improviste, au sujet historique à l’instant du danger. Le danger menace tout aussi bien l’existence de la tradition que ceux qui la reçoivent. Pour elle comme pour eux, il consiste à les livrer, comme instruments, à la classe dominante. A chaque époque il faut tenter d’arracher derechef la tradition au conformisme qui veut s’emparer d’elle. Le Messie ne vient pas seulement comme rédempteur ; il vient aussi comme vainqueur de l’Antéchrist. Le don d’attiser dans le passé l’étincelle de l’espérance n’échoit qu’à l’historiographe parfaitement convaincu que, devant l’ennemi, s’il vainc, mêmes les morts ne seront point en sécurité. Et cet ennemi n’a pas cessé de vaincre. »

- VII -

« Rappelle-toi les ténèbres et le grand froid Dans cette vallée résonnant de désolation. »
Brecht, l’Opéra de quat’sous

« À l’historien qui veut revivre une époque, Fustel de Coulanges recommande d’oublier tout ce qui s’est passé ensuite. Mieux vaut ne pas qualifier une méthode que le matérialisme historique a battue en brèche. C’est la méthode de l’intropathie. Elle est née de la paresse du cœur, de l’acedia qui désespère de maîtriser la véritable image historique, celle qui brille de façon fugitive. Les théologiens du Moyen-Âge considéraient l’acedia comme la source de la tristesse. Flaubert, qui la connaissait bien, écrit : “Peu de gens devineront combien il a fallu être triste pour ressusciter Carthage.” La nature de cette tristesse devient plus évidente lorsqu’on se demande avec qui proprement, l’historiographie historiciste entre en intropathie. La réponse est inéluctable : avec le vainqueur. Or quiconque domine est toujours héritier de tous les vainqueurs. Entrer en intropathie avec le vainqueur bénéficie toujours par conséquent à quiconque domine. Tous ceux qui jusqu’ici ont remporté la victoire participent à ce cortège triomphal où les maîtres d’aujourd’hui marchent sur les corps des vaincus d’aujourd’hui. À ce cortège triomphal, comme ce fut toujours l’usage, appartient aussi le butin. Ce qu’on définit comme biens culturels. Quiconque professe le matérialisme historique ne les peut envisager que d’un regard plein de distance. Car, tous en bloc, dès qu’on songe à leur origine, comment ne pas frémir d’effroi ? Ils ne sont pas nés du seul effort des grands génies qui les créèrent mais en même temps de l’anonyme corvée imposée aux contemporains de ces génies. Il n’est aucun document de culture qui ne soit aussi un document de barbarie. Et la même barbarie qui les affecte, affecte tout aussi bien le processus de leur transmission de main en main. C’est pourquoi, autant qu’il le peut, le théoricien du matérialisme historique se détourne d’eux. Sa tâche, croit-il, est de brosser l’histoire à rebrousse-poil. »

- VIII -

« La tradition des opprimés nous enseigne que l’“état d’exception” dans lequel nous vivons est la règle. Il nous faut en venir à la conception de l’Histoire qui corresponde à cet état. Dès lors nous constaterons que notre tâche consiste à mettre en lumière le véritable état d’exception ; et ainsi deviendra meilleure notre position dans la lutte contre le fascisme. La chance du fascisme n’est pas finalement que ses adversaires, au nom du progrès, le rencontrent comme une norme historique ? – Il n’est aucunement philosophique de s’étonner que soient “encore” possibles au XXe siècle les événements que nous vivons. Pareil étonnement n’a pas de place au début d’un savoir à moins que ce savoir soit de reconnaître comme intenable la conception de l’Histoire d’où naît une telle surprise. »

- IX -

« À l’essor est prête mon aile,
j’aimerais revenir en arrière,
car je resterais aussi temps vivant
si j’avais moins de bonheur. »
Gershom Scholem, Salut de l’ange.

« Il existe un tableau de Klee qui s’intitule Angelus Novus. Il représente un ange qui semble avoir dessein de s’éloigner du lieu où il se tient immobile. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. Tel est l’aspect que doit avoir nécessairement l’ange de l’histoire. Il a le visage tourné vers le passé. Où se présente à nous une chaîne d’événements, il ne voit qu’une seule et unique catastrophe, qui ne cesse d’amonceler ruines sur ruines et les jette à ses pieds. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler les vaincus. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si forte que l’ange ne les peut plus refermer. Cette tempête le pousse incessamment vers l’avenir auquel il tourne le dos, cependant que jusqu’au ciel devant lui s’accumulent les ruines. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès. »

- X -

« Les objets que la règle claustrale assignait à la méditation des moines avaient pour tâche de leur enseigner le mépris du monde et de ses pompes. Nos réflexions actuelles procèdent d’une détermination analogue. À cet instant où gisent à terre les politiciens en qui les adversaires du fascisme avaient mis leur espoir, où ces politiciens aggravent leur défaite en trahissant leur propre cause, nous voudrions arracher l’enfant politique du monde aux filets dans lesquels ils l’avaient enfermé. Le point de départ de notre réflexion est que l’attachement de ces politiciens au mythe du progrès, leur confiance dans la “masse” qui leur servait de “base”, et finalement leur asservissement à un incontrôlable appareil, ne furent que trois aspects d’une même réalité. Nous voudrions suggérer comme il coûte cher à nos habitudes de pensée d’aboutir à une vision de l’histoire qui refuse toute complicité avec celle à laquelle s’accrochent encore ces politiciens. »

- XI -

« Dès l’origine, vice secret de la social-démocratie, le conformisme n’affecte pas sa seule tactique politique, mais aussi bien ses vues économiques. Rien ne fut plus corrupteur pour le mouvement ouvrier allemand que la conviction de nager dans le sens du courant. Il tient le développement technique pour la pente du courant, le sens où il croyait nager. De là il n’y avait qu’un pas à franchir pour s’imaginer que le travail industriel représentait une performance politique. Avec les ouvriers allemands, sous une forme sécularisée, la vieille éthique protestante de l’ouvrage célébrait sa résurrection. Le Programme de Gotha porte déjà les traces de cette confusion. Il définit le travail comme “la source de toute richesse et de toute culture”. À quoi Marx, pressentant le pire, objectait que l’homme ne possède que sa force de travail, qu’il ne peut être que “l’esclave d’autres hommes [...] qui se sont faits propriétaires”. Cependant, la confusion se répand de plus en plus, et bientôt Joseph Dietzgen annonce : “Le travail est le Messie du monde moderne. Dans [...] l’amélioration [...] du travail [...] réside la richesse, qui peut maintenant apporter ce que n’a réussi jusqu’à présent aucun rédempteur.” Cette conception du travail, caractéristique d’un marxisme vulgaire, ne s’attarde guère à la question de savoir comment les produits de ce travail servent aux travailleurs eux-mêmes aussi longtemps qu’ils ne peuvent en disposer. Il ne veut envisager que les progrès de la maîtrise sur la nature, non les régressions de la société. Il préfigure déjà les traits de cette technocratie qu’on rencontrera plus tard dans le fascisme. Notamment une notion de la nature qui rompt de façon sinistre avec celle des utopies socialistes d’avant 1848. Tel qu’on le conçoit à présent, le travail vise à l’exploitation de la nature, exploitation qu’avec une naïve suffisance l’on oppose à celle du prolétariat. Comparées à cette conception positiviste, les fantastiques imaginations de Fourier, qui ont fourni matière à tant de railleries, révèlent un surprenant bon sens. Pour lui l’effet du travail social bien ordonné devrait être que quatre Lunes éclairent la nuit de la terre, que la glace se retire des pôles, que l’eau de mer cesse d’être salée et que les bêtes fauves se mettent au service de l’homme. Tout cela illustre un travail qui, bien loin d’exploiter la nature, est en mesure de faire naître d’elle les créations virtuelles qui sommeillent en son sein. À l’idée corrompue du travail correspond l’idée complémentaire d’une nature qui, selon la formule de Dietzgen, “est là gratis”. »

- XII -

« Nous avons besoin de l’histoire, mais nous en avons besoin autrement que n’en a besoin l’oisif blasé dans le jardin du savoir. »
Nietzsche, De l’utilité et de l’inconvénient de l’histoire.

« Le sujet du savoir historique est la classe combattante, la classe opprimée elle-même. Chez Marx, elle se présente comme la dernière classe asservie, la classe vengeresse qui, au nom de générations vaincues, mène à son terme l’œuvre de libération. Cette conscience, qui pour un temps bref reprit vigueur dans le spartakisme, aux yeux de la social-démocratie fut toujours incongrue. En trois décennies, elle a réussi à presque effacer le nom d’un Blanqui, dont la voix d’airain avait ébranlé le XIXe siècle. Il lui plut d’attribuer à la classe ouvrière le rôle de libératrice pour les générations à venir. Ce faisant, elle énerva ses meilleures forces. À cette école la classe ouvrière désapprit tout ensemble la haine et la volonté de sacrifice. Car l’une et l’autre s’alimentent à l’image des ancêtres asservis, non point à l’idéal des petits-enfants libérés. »

- XIII -

« Tous les jours notre cause devient plus claire et tous les jours le peuple devient plus sage. »
Dietzgen, la Religion de la social-démocratie.

« Dans sa théorie et plus encore dans sa praxis, la social-démocratie s’est déterminée selon une conception du progrès qui ne s’attachait pas au réel mais émettait une prétention dogmatique. Tel que l’imaginait la cervelle des sociaux-démocrates, le progrès était, primo un progrès de l’humanité même (non simplement de ses aptitudes et de ses connaissances). Il était, secundo, un progrès illimité (correspondant au caractère infiniment perfectible de l’humanité). Tertio, on le tenait pour essentiellement continu (pour automatique selon une ligne droite ou une spirale). Chacun de ces caractères prête à discussion et pourrait être critiqué. Mais, se veut-elle rigoureuse, la critique doit remonter au-delà de tous ces caractères et s’orienter vers ce qui leur est commun. L’idée d’un progrès de l’espèce humaine à travers l’histoire est inséparable de sa marche à travers un temps homogène et vide. La critique qui vise l’idée d’une telle marche est le fondement nécessaire de celle qui s’attaque à l’idée de progrès en général. »

- XIV -

« “L’origine est la fin.”
Karl Kraus, Paroles en vers, I.

L’histoire est l’objet d’une construction dont le lieu n’est pas le temps homogène et vide, mais qui forme celui qui est plein “d’à-présent”. Ainsi pour Robespierre, la Rome antique était un passé chargé “d’à-présent” surgi du continu de l’histoire. La Révolution française s’entendait comme une Rome recommencée. Elle citait l’ancienne Rome exactement comme la mode cite un costume d’autrefois. C’est en parcourant la brousse de l’autrefois que la mode flaire le fumet de l’actuel. Elle est le saut du tigre dans le passé. Ce saut ne peut s’effectuer que dans une arène où commande la classe dirigeante. Effectué en plein air, le même saut est le saut dialectique, la révolution telle que l’a conçue Marx. »

- XV -

« La conscience de faire éclater le continu de l’histoire est propre aux classes révolutionnaires dans l’instant de leur action. La grande Révolution introduisit un nouveau calendrier. Le jour avec lequel commence un nouveau calendrier fonctionne comme un ramasseur historique de temps. Et c’est au fond le même jour qui revient toujours sous la forme des jours de fête, lesquels sont des jours de commémoration. Ainsi, les calendriers ne comptent pas le temps comme des horloges. Ils sont les monuments d’une conscience de l’histoire dont la moindre trace semble avoir disparu en Europe depuis cent ans. La révolution de Juillet a comporté encore un incident où cette conscience a pu faire valoir son droit. Au soir du premier jour de combat, il s’avéra qu’en plusieurs endroits de Paris, indépendamment et au même moment, on avait tiré sur les horloges murales. Un témoin oculaire, qui doit peut-être sa divination à la rime, écrivit alors :

“Qui le croirait ? On dit qu’irrités contre l’heure
De nouveaux Josués, au pied de chaque tour,
Tiraient sur les cadrans pour arrêter le jour.” »

- XVI -

« Celui qui professe le matérialisme historique ne saurait renoncer à l’idée d’un présent qui n’est point passage [Ubergang], mais qui se tient immobile sur le seuil du temps. Cette idée définit justement le présent dans lequel, pour sa propre personne, il écrit l’histoire. »

- XVII -

« L’historicisme culmine de plein droit dans l’histoire universelle. Par sa méthode l’historiographie matérialiste se détache de cette histoire plus clairement peut-être que de toute autre. L’historicisme manque d’armature théorique. Son procédé est additif ; il utilise la masse des faits pour remplir le temps homogène et vide. Au contraire l’historiographie matérialiste repose sur un principe constructif. À la pensée n’appartient pas seulement le mouvement des idées, mais tout aussi bien leur repos. Lorsque la pensée se fixe tout à coup dans une constellation saturée de tensions, elle lui communique un choc qui la cristallise en monade. Le tenant du matérialisme historique ne s’approche d’un objet historique que là où cet objet se présente à lui comme une monade. Dans cette structure il reconnaît le signe d’un arrêt messianique du devenir, autrement dit une chance révolutionnaire dans le combat pour le passé opprimé. Il perçoit cette chance de faire sortir par effraction du cours homogène de l’histoire une époque déterminée ; il fait sortir ainsi de l’époque une vie déterminée, de l’œuvre de vie une œuvre déterminée. Sa méthode a pour résultat que dans l’œuvre l’œuvre de vie, dans l’œuvre de vie l’époque et dans l’époque le cours entier de l’histoire sont conservés et supprimés. Le fruit nourricier de ce qui est historiquement saisi contient en lui le temps comme la semence précieuse mais indiscernable au goût. »

- XVIII -

« “Par rapport à l’histoire de la vie organique sur la Terre, écrit un biologiste contemporain, les misérables cinquante années de l’homo sapiens représentent quelque chose comme deux secondes à la fin d’un jour de vingt-quatre heures. À cette échelle, toute l’histoire de l’humanité civilisée remplirait un cinquième de la dernière seconde de la dernière heure.” L’à-présent, qui comme modèle du messianique, résume dans un immense abrégé l’histoire de toute l’humanité, coïncide rigoureusement avec la figure que constitue dans l’univers l’histoire de l’humanité. »

A.

« L’historicisme se contente d’établir un lien causal entre les divers moments de l’histoire. Mais aucune réalité de fait n’est jamais, d’entrée de jeu, à titre de cause, un fait déjà historique. Elle l’est devenue à titre posthume, grâce à des événements qui peuvent être séparés d’elle par des millénaires. L’historien qui part de là cesse d’égrener la suite des événements comme un chapelet. Il saisit la constellation dans laquelle son époque est entrée avec une époque antérieure parfaitement déterminée. Il fonde ainsi un concept du présent comme l’à-présent dans lequel ont pénétré des échardes du messianique.  »

B.

« Certes, les devins qui l’interrogeaient pour savoir ce qu’il recélait en son sein ne faisaient l’expérience d’un temps ni homogène ni vide. Qui envisage ainsi les choses pourra peut-être concevoir de quelle manière dans la commémoration le temps passé fut objet d’expérience : de la manière justement qu’on a dite. On le sait, il était interdit aux juifs de prédire l’avenir. La Thora et la prière s’enseignent au contraire dans la commémoration. Pour eux la commémoration désenchantait l’avenir auquel ont succombé ceux qui cherchent instruction chez les devins. Mais pour les Juifs, l’avenir ne devint pas néanmoins un temps homogène et vide. Car en lui chaque seconde était la porte étroite par laquelle pouvait passer le Messie.  »


05/11/2017

K.Dick et la gnose

"La vérité - comme le Moi - est fractionnée, éparpillée sur des milliers de killomètres et d'années ; on en trouve des morceaux ça et là, disséminés dans l'espace et dans le temps, qui doivent être collectés ; il y en a chez les naturalistes grecs, chez Pythagore, Platon, Parménide, Héraclite, dans le néoplatonisme, le zoroastrisme, le gnosticisme, le taoïsme, chez Mani, dans le christianisme orthodoxe, le judaïsme, le brahmanisme, le bouddhisme, l'orphisme et les autres religions à mystère. Chaque religion ou philosophie, ou philosophe, en contient un ou plusieurs fragments, mais le système total l'imbrique de telle manière que finalement, l'ensemble est faux. Chacun de ces systèmes doit donc être rejeté en tant que tel. Aucun ne doit être accepté aux dépens de tous les autres (par exemple, en disant : "je suis chrétien" ou "je crois en la parole de Mani"). C'est une idée fascinante : ici, dans ce monde spatio-temporel, la vérité est à portée de main mais fractionnée sur des milliers d'années et des milliers de kilomètres ; je l'ai dit, elle doit être recueillie, rappelée comme doivent être le Moi, l'Ame, l'Idée (eidos). Telle est ma tâche.
Dans ce cas, tout système donné fait en soi partie du piège aliénant de l'illusion trompeuse : en d'autres termes, dès lors que je me déclare en faveur de tel ou tel philosophe ou système, je me retrouve encore (ou d'avantage) asservi. Evidemment, cela signifie que je ne pourrai jamais formuler d'explication/solution intégrales, authentiques, complètes. Je peux rappeler/me rappeler sans relâche, me rapprocher sans cesse du but (...)"

"Etre sauvé veut réellement dire "se souvenir" (de sa véritable identité, de sa véritable situation, de sa véritable histoire) ; au premier abord cette thèse ressemble à l'anamnèse de Platon, mais en réalité elle est gnostique au sens le plus large du terme, elle est connaissance considérée comme ontologiquement primordiale en ce qui concerne à la fois l'individu déchu et, au-delà, la réparation cosmique. Telle est en effet l'essence du gnosticisme : non pas la gnose en tant qu'elle entraîne la rédemption, mais pour sa valeur et sa signification ontologiques, sa nature absolument primordiale, en tant que chose première. Ainsi, en dernière analyse, le gnosticisme accorde-t-il la priorité la plus élevée au fait de connaître et considère-t-il l'épistémologie comme l'égale du divin ; en effet, la quête gnostique, épistémologique, est en elle-même en tant que recherche véritablement divine : c'est l'assise la plus élevée de la vie spirituelle, et telle est ma vision de l'épistémologie. Rien n'est plus important à mes yeux. Si le gnosticisme est donc pour moi le but inexorable, c'est que la prémisse du gnosticisme est celle où s'ancre ma vie mentale ; ainsi, pour moi, dire que le gnosticisme est la solution revient à énoncer une tautologie, mais pleine de sens. C'est ainsi que pour moi la vie spirituelle, mentale, le gnosticisme, l'épistémologie, la rationalité et la connaissance ne font qu'un. Et la quête a autant de valeur que le but de la quête : la quête est la vie dynamique de l'esprit. Connaître, c'est être. D'où cette exégèse. Elle est le dynamisme même de ma vie."
Philip K. Dick, L'Exégèse volume 2, p.288-289 / p. 688-689, février 1982, traduction de Hélène Collon (J'ai lu / Nouveaux Millénaires)
Via Pacôme Thiellement

11/10/2017

Soyez un peu mieux égoïste s'il vous plait (ZIZEK)

"The actual effect of global capitalism is to generate a kind of, lets call it very naively in old fashion terms, moral vacuum. How is this moral vacuum structured? Reactionary moralist, even some liberal are telling us its clear: Its egotism, post-modern hedonism, permissivity, “we have no higher moral values”, etc.

I tend to violently disagree with this version. Look at the ideal, I’m speaking now in Max Webber’s terms, the ideal type, how does an ideal, typical capitalist work? He or she is absolutely not an egotist, on the contrary! Usually they work day and night, they ruin their happiness, it’s almost like Walter Benjamin said that capitalism is effectively a kind of perverted religion. A true capitalist is not a hedonist. A true capitalist cannot even sleep, works 20 hours per days, he’s all possessed, he’s ready to ruin his family happiness whatever, just so that capitalism circulates further.

So I hate it when false ecologist are trying to make us feel guilty in the sense of “oh you’re hedonist / egotist, you see only immediate pleasures…” No! What we need to fight for ecological cause is precisely more rational egoism. This is I think the perversity of so-called consumerism. Consumerism is not really egotistic, it’s like you are caught in a certain, what in psychoanalyses we call an super-ego injunction “do it, consume, blab la” which has nothing to do with the rational reflection of what is good for you, of enlightened egotism. So this is for me maybe the best metaphor of let’s call it, excessively maybe, the ethical madness of our times. You know that it’s not only that we don’t leave in egotist time where we only care for ourselves, and so on.

I claim almost the most difficult thing to do today is to be a truly rational egotist. Rational egotism is our ally, because competition is precisely the greatest enemy of egotism. A classical egalitarian like Jean Jacques Rousseau knew this. He opposed between Amour de soi and amour propre, two types of egotism. Amour de soi which is “you simply like yourself, you want the best for yourself.” He says there nothing bad in it because you soon establish that what is good for you is mostly good for the others, and so on. But he says the true danger is Amour propre, a perverted egotism where you perceive others as obstacles, but then destroying the other means to you more than your own happiness."

Slavoj Zizek - retranscription d'une partie de ceci. (7:14 and so on)
https://www.youtube.com/watch?v=JLVadEHSboc

08/08/2017

Le Départ du Louvre

#DESFORMESDANSLANUIT

Donc sinon j'ai fait ça il y a quelques semaines, pour la déconne et parce que ce morceau mystique hante mes journées depuis des mois, au gré des mauvaises nouvelles. Vous noterez le soin du détail dans les infographies ainsi que dans le rendu visuel. J'ai pris beaucoup de plaisir à dégrader ces images... Voici donc : Le Départ du Louvre, interprété par Emmanuel Macron, mis en musique par Tom Hang, filmé par LCP, avec moi-même à la direction artistique.
Il y a plus de vérité ici qu'un soir de mai 2017.

P.



Musique :
Tom Hang - Ethereprise
Vous pouvez l'écouter et l'acheter ici : https://wheretonow.bandcamp.com/track/ethereprise

04/08/2017

Things It Would've Been Helpful To Know Before The Revolution



It got too hot And so we overthrew the system ‘Cause there’s no place for human existence like right here On this bright blue marble Orbited by trash Man, there’s no beating that It was no big thing to give up the way of life we had My social life Is now quite a bit less hectic The nightlife and the protests are pretty scarce Now I mostly spend the long days Walking through the city Empty as a tomb Sometimes I miss the top of the food chain But what a perfect afternoon Industry and commerce toppled to their knees The gears of progress halted The underclass set free The super-ego shattered with our ideologies The obscene injunction to enjoy life Disappears as in a dream And as we return to out native state To our primal scene The temperature, it started dropping And the ice floes began to freeze From time to time We all get a bit restless With no one advertising to us constantly But the tribe at the former airport Some nights has meat and dancing If you don't mind gathering and hunting We’re all still pretty good at eating on the run Things it would have been helpful to know before the revolution Though I’ll admit Some degree of resentment For the sudden lack of convenience around here There are some visionaries among us Developing some products To aid us in our struggle to survive On this godless rock that refuses to die

Father John Misty - Things It Would Have Been Helpful To Know Before The Revolution / 'Pure Comedy' (Release Date: April 7, 2017) 

VIDEO CREDITS Director: Chris Hopewell Video Production House: Jacknife Films Video Producer: Rosie Lea Brind Editor: Tom Weller Director of Photography: Jon Davey  Art Direction: Chris Hopewell Key Animators: Roos Mattaar, Cadi Catlow, Virpi Kettu, Louis McNamara Art Department: Chris Hopewell, Rosie Lea Brind, Bonnie Griffin, Jo Garland, Siobhan Raw, Rebecca Prior, Elaine Andrew, Lucy Roberts, Mary Murphy, Alison Garner, Zoe Veness, Andy Stewart and Louis McNamara Edit/Grade: Tom Weller Digital compositing: Jon Davey and Tom Weller at Jacknife and Bill Pollock at Bonch Director’s Manager/Rep: Molly Bohas

03/08/2017

INFORMATION, JOURNALISME ET DOMINATION SOCIALE

Je partage ici un texte rédigé par un de mes anciens prof. Je ne l'aimais pas, le prof, mais ici il fait du bien meilleur boulot qu'en amphi. C'est donc un article de Marc Sinnaeve paru dans le magazine Agir par la culture dans son édition du printemps 2014. Marc si tu trouves cette reproduction... voilà quoi. 

Source : https://www.agirparlaculture.be/pdf/apc_37.pdf


L’INFORMATION CAUTIONNE LA DOMINATION SOCIALE

La logique frontale et présentiste de la médiatisation contribue à diffuser des grilles de lecture conservatrices du monde qui « naturalisent » la domination sociale. Le fait qu’il y ait des pauvres et des riches, des hommes qui gagnent davantage que les femmes, des salariés contraints d’accepter des sacrifices, en même temps que des actionnaires toujours mieux rémunérés, est parfois déploré. Mais sans que jamais ne soient interrogés ou remis en cause les fondements de l’ordre social qui y contribuent…

D’où les médias regardent- ils le monde et l’histoire ? De plus en plus, nouveaux régimes de production obligent, c’est du bout de leur nez, collé aux écrans des flux continus de l’actualité et à ceux des commentaires des réseaux sociaux. La gestion des écrans est d’ailleurs devenue plus importante, plus chronophage, dans les pratiques professionnelles, que la recherche proprement dite de l’information, l’enrichissement de celle-ci ou son approfondissement.

Le type d’information qui en résulte tourne rapidement en boucle, puis à vide, tant les dynamiques désormais bien installées de la production low-cost et de la marketisation médiatique rabotent le travail journalistique proprement dit.

Ce qui disparaît effectivement, de plus en plus, c’est l’espace intermédiaire du traitement journalistique. Le traitement, c’est l’ensemble des opérations au terme desquelles l’info de base se trouve transformée en un « sujet d’information ». Un peu de la même manière que le traitement d’un malade opère une transformation de celui-ci en le reconstruisant. Traité, le sujet d’information est, lui aussi, un construit ou un reconstruit. Idéalement, il est un complexe, dont l’enrichissement par rapport à la fruste nouvelle de départ est, précisément, ce qui lui permet de pouvoir interagir avec l’infini mouvement du réel, dans la compréhension du monde et la production du sens.

Or, dans les médias centraux traditionnels, l’heure est à l’appauvrissement du traitement des contenus, en raison de calculs de rentabilité, de rapidité de fabrication et de mise en circulation, de facilité de consommation… Les sujets d’information se trouvent alors vidés, à un degré ou à un autre, de leur complexité et des « grappins mentaux » qui les relient à la multitude du monde et qui leur accrochent du sens.

De sujet de connaissance, l’information devient objet de consommation : sorte de pion unidimensionnel figé, ne signifiant qu’en lui-même, ou qu’en fonction de la charge émotionnelle dramatique ou emphatique dont il est (sur)investi. Cette assignation du sens par la résonance du bruit médiatique, c’est ce que Vincent de Coorebyter a appelé, dans ces mêmes colonnes, la tentation de l’hyperbole.

Le mouvement s’accompagne du souci d’éliminer toujours plus la distance espace temps entre l’événement et le public…

UNE IMPRESSION DE PRÉSENT ABSOLU

Désormais, en effet, dans son positionnement stratégique, un média d’information qui se veut concurrentiel rapporte moins l’événement au public qu’il n’estime devoir en faire partie. C’est cet te démarche fusionnelle, aux yeux des stratèges de l’audience, qui constituerait, pour l’enseigne de presse, la valeur ajoutée à la relation qu’elle entretient et monnaie avec ses clients. En « collant » à l’événement, le média entend faire valider l’idée qu’il « collerait » à son public et aux aspirations de celui-ci. On lui offre, au besoin, pour cela, des tablettes, c’est-à-dire les outils-supports mêmes par lesquels on entend établir ou renforcer le lien.

La prédilection marquée pour les directs ou faux directs, tout comme la multiplication des messages numériques d’annonce ou d’alerte, visent à alimenter un effet de présence : l’impression donnée au public d’être en prise directe (ou rapprochée) avec l’événement en train de se dérouler. Une impression de présent absolu… Le « 11 septembre 2001 » peut être considéré comme la matrice de cette couverture de l’événement au plus près, rendue possible par les techniques de la compression du temps et de l’espace.

Le nez collé au pare-brise présentiste de l’actualité, le journalisme perd une partie de sa capacité de saisir (plus) pleinement le réel. Il perd, notamment, le sens de la latéralisation, de la perception de ce qui se trouve sur les champs latéraux, la richesse, le relief, la profondeur de ce qui nous entoure : ce que Paul Virilio nomme la « stéréo-réalité naturelle ». Ce n’est d’ailleurs pas un hasard, observe le théoricien de la vitesse, si les animaux ont le plus souvent les yeux implantés sur les côtés de la tête, pour mieux anticiper l’attaque surprise de prédateurs qui ne vient jamais de face.

« EN “COLLANT” À L’ÉVÉNEMENT, LE MÉDIA ENTEND FAIRE VALIDER L’IDÉE QU’IL “COLLERAIT” À SON PUBLIC ET AUX ASPIRATIONS DE CELUI-CI. ON LUI OFFRE, AU BESOIN, POUR CELA, DES TABLETTES, C’EST-À-DIRE LES OUTILS-SUPPORTS MÊMES PAR LESQUELS ON ENTEND ÉTABLIR OU RENFORCER LE LIEN ».

À l’inverse, les médias de l’instant tendent à ne voir et à ne donner à voir que la réalité frontale, c’est-à-dire celle qui est la plus proche de l’univers mental à la fois de leur public et… des journalistes eux-mêmes. Lesquels travaillent, la plupart du temps, par reproduction du connu, du déjà-vu. Ce qui est, il faut bien le dire, leur seule échappatoire, souvent, dans les conditions d’urgence permanentes auxquelles leur production est soumise.

D’où le sentiment tenace en nous, public, de reconnaître la « petite musique » familière de l’actualité, qui correspond à des informations « déjà reçues avant d’être émises », pour le dire avec Pierre Bourdieu. On peut même poser que l’information nous surprend rarement, tant elle a tendance à conforter nos idées reçues et nos a priori, dans ce qu’elle donne à voir du monde. Car elle privilégie – et, ce faisant, légitime – ce qui est connu, ce qui est ou paraît manifeste, ce qui existe ou semble avoir toujours existé, dans une sorte d’ordre permanent des choses.

UN ASSENTIMENT FONCIER À L’ORDRE SOCIAL

On comprend mieux, alors, pourquoi et comment le discours médiatique donne l’impression d’adhérer à une vision (néo) libérale de l’économie-monde, alors que la majorité des journalistes se disent plutôt de gauche. Qu’il s’agisse de « l’austérité budgétaire » à appliquer, des « réformes structurelles » à mener (sur le marché de l’emploi, pas sur celui de la concurrence fiscale), des « marchés financiers » qui font la pluie et le beau temps, du « libre-échange » carburateur de la prospérité économique (plutôt qu’arme de dumping social, écologique et fiscal), des rémunérations des « top-managers » d’entreprises publiques autonomes, de la « nouvelle gouvernance » européenne qui distribue les bons et mauvais points à l’élève Belgique toujours un peu trop indisciplinée, ou encore de la « Troïka » (Commission européenne, BCE, FMI) en agent de probation des efforts de rédemption des délinquants budgétaires de la périphérie de la zone euro..., la vision médiatique épouse la doxa de l’époque. Non par complot ou par connivence avec les forces du « grand capital », mais en raison même du fonctionnement et des dispositifs de l’information contemporaine. Ce qu’il y a de commun dans la manière de traiter des réalités ou des processus que l’on vient d’énumérer, c’est que les informations qui les englobent les présentent de plus en plus sous le statut de « faits institués », dotés d’une existence propre et immuable. Un peu comme s’il s’agissait d’entités spécifiques ou d’acteurs autonomes, qui échapperaient à la trame complexe des rapports sociaux et de ce qui fonde ceux-ci : les logiques de domination, les modes de production ou de reproduction des inégalités, les hiérarchies existantes, les rapports de force, le fétichisme de la valeur d’accumulation dans nos sociétés, l’emprise croissante des impératifs comptables et des intérêts privés sur les politiques publiques…

« IL VA DE SOI, POUR LES MÉDIAS, QUE “L’ORDRE DES CHOSES”, LE COEUR DU SYSTÈME, N’EST PAS UNE CONSTRUCTION SOCIALE, MAIS UN DONNÉ NATUREL.»

Ce n’est pas que les journalistes ignorent tout de l’existence de ces ressorts sous-jacents de la vie sociale. Mais les logiques de production d’une part, le capital culturel moyen des (jeunes) membres de la profession, d’autre part, le mythe profondément incorporé de l’objectivité positiviste du monde « tel qu’il est », enfin, ne prédisposent pas les acteurs professionnels du journalisme à accéder à une capacité effective d’analyse critique des fondements de la réalité qui les entoure. Tant sont prégnants et profondément intériorisés, aussi, les schémas de production et de reproduction au quotidien du « scénario sans script » de l’actualité.

Il en résulte, comme l’a montré en son temps le sociologue Alain Accardo, un assentiment foncier de la parole journalistique au monde environnant et à l’ordre social existant, en raison du simple fait qu’ils… existent. En découle, de même, une quasi-impossibilité professionnelle, autant structurelle que culturelle, d’entretenir un rapport au réel autre que mystifié. Tant il va de soi, dans la techno-vision simplifiée du monde qui caractérise l’impensé médiatique, que « l’ordre des choses », le cœur du système, n’est pas une construction sociale, mais un donné naturel.

Cela explique aussi pourquoi ce type de régime médiatique est peu porté à présenter, en tant que telles, les formes de résistance ou de remise en cause de la domination sociale. Il est d’ailleurs symptomatique de constater comment ceux qui, dans le débat public, se hasardent à questionner les fondements du cœur de la machine (s’interroger sur le bienfondé de l’emprise croissante du management privé dans les services publics, par exemple) se voient aussitôt taxés d’idéologues, si pas de populistes.

Marc Sinnaeve – Printemps 2014

26/07/2017

Lost in translation - Kim Jong Trump

Génial montage d'images de la télévision nationale nord-coréenne, sonorisé avec les voix de deux présentateurs star de la chaîne américaine Fox News.  Judge Jeanine et Sean Hannity. Sérieusement, il se passe quelque chose dans mon cerveau quand je regarde ce truc, une sorte de saute, dans la réalité. Dans la réalité médiatisée, dans la représentation du réelle. Décalage, maillage. Flou. Je vois ou j'entend double, deux fois la même petite chanson. La même, probablement.

P.



13/07/2017

Maintenant : Pas grand chose


Bon. J'ai lu Maintenant, le dernier livre du Comité Invisible. D'abord, je vous recommande la lecture de leurs précédents bouquins, L'Insurrection qui vient et à A nos amis. Et aussi Tiqqun puisqu'il y a un lien de parenté plus que probable voir évident entre les deux comités d'écriture. Après, si ca vous botte, vous pouvez lire celui-ci, mais c'est pas forcé, hein.
Bref. Je ne vais pas vous faire une fiche de lecture, je suis très mauvais pour ça. Je dirais simplement que je n'ai pas aimé, que je n'y ai pas appris grand-chose, que ça n'a pas fait évoluer ma manière de voir les choses. Ce bouquin n'a ajouté aucune complexité ou relief aux thèses développées précédemment. En fait ce bouquin c'est une sorte de resucée avec un ton dédaigneux. Ils passent beaucoup de temps à cracher sur Nuit Debout etc. Je n'avais pas réalisé que c'était de cela dont le "mouvement" avait besoin. LOL

Donc si vous voulez une très bonne critique (à mes yeux), je vous recommande celle-ci publiée sur Vacarmehttp://www.vacarme.org/article3054.html

Si vous voulez lire un extrait c'est chez leur amis de Lundi Matin : https://lundi.am/Pour-la-suite-du-monde-comite-invisible

Moi je vais me contenter de deux citations appréciables sur la loi travail et le salariat.

P.

"Au fond, la fameuse "loi travail" était une déclaration de péremption définitive du travail comme monde commun. Certains y répondent par des rodomontades sur la fin des illusions du travail et de la valeur-travail. D'autres y voient le signe que c'est désormais la vie entière et non plus la force de travail qui est requise par le capitalisme post-fordiste et en déduisent l'émergence d'un mouvement "biopolitique", un mouvement de la vie elle-même succédant au classique mouvement ouvrier. Mais les protestataires du printemps 2016 y ont spontanément perçu autre chose: la déclaration officielle que désormais, dans nos sociétés avancées, le travail n'avait plus de raison de faire communauté, qu'il ne devait plus être que la manière dont chaque individu gérait son "capital humain"."

"Le salariat a permis à des generations d'hommes et de femmes de vivre en éludant la question du sens de la vie, en "se rendant utiles", en "faisant carrière", en "servant". Il a toujours été loisible au salarié de remettre cette question à plus tard - disons: jusqu'a la retraite - tout en menant une honorable vie sociale. Et comme il est "trop tard", parait-il, une fois retraité, pour se la poser, il ne reste plus qu'à attendre patiemment la mort. On aura ainsi réussi à passer une vie entière sans avoir eu à entrer dans l'existence. Ainsi le salariat nous délestait-il de l'encombrant fardeau du sens et de la liberté humaine."

11/07/2017

DOCU: The Living Dead - Adam Curtis - 1995

Un trésor oublié. Je ne m'explique pas comment j'ai pu rater un docu de Curtis, mais soit. Trois parties, grosse bande son - The Thing de John Carpenter notamment, et sous-titré Three films about the power of the past. Les thématiques : Projection historique et nazisme - Image du nazisme, de la guerre, et mémoire - Psychologie et mémoire - Le Royaume-Unis et Thatcher comme cas d'analyse de tout cela - et bien d'autres choses. Pour un synopsis complet je vous invite à lire la page wiki de cette série documentaire.

Si vous ne connaissez pas encore Adam Curtis, vous avez jusqu'ici manqué un des regards les plus affuté sur le monde et l'époque. 

P.






10/07/2017

Jacques Rancière : la démocratie comme moment égalitaire

Si vous ne connaissez pas Jacques Rancière, c'est le moment. Vous pouvez commencer par le petit bouquin de discussion avec Eric Hazan, En quel temps vivons-nous? sorti il y a quelques semaines. 73 pages de bonheur. Après vous pourrez regarder les vidéos en dessous où il détaille son point de vue. Je vous mets un extrait du livre qui je l'espère, vous convaincra de passer du temps sur Youtube. ;)

P. 

(c'est moi qui souligne)

"On redécouvre aujourd'hui que l'histoire de l'égalité est une histoire autonome, qu'elle n'est pas le développement de stratégies fondées sur l'analyse des transformations objectives des techniques, de l'économie, etc. mais une constellation de moments - quelques jours, quelques semaines, parfois quelques années - qui créent des dynamiques temporelles propres dotées de plus ou moins d'intensité et de durée. A chaque fois, c'est un nouveau commencement et à chaque fois on ne sait pas jusqu'où il ira. Et la prétention d'en tirer les leçons ne mène pas bien loin. L'idée des leçons tirées des expériences antécédentes suppose toujours qu'on va trouver cette fois la bonne façon de faire ce qu'on veut. Malheureusement, ce n'est pas ce qu'on veut qui détermine la conduite d'un moment d'égalité. C'est le contraire : la "volonté" est un résultat, c'est la modalité que prend le déploiement du moment égalitaire. Redécouvrir l'aspect monadique des moments égalitaires, c'est aussi redécouvrir l'ambiguïté de ces dynamiques. L'émancipation, cela a toujours été une manière de créer au sein de l'ordre normal du temps un  temps autre, une manière différente d'habiter le monde sensible en commun. Cela a toujours été une manière de vivre au présent dans un autre monde à venir. On ne travaille pas pour l'avenir, on travaille pour creuser un écart, un sillon tracé dans le présent, pour intensifier l'expérience d'une autre manière d'être. C'est ce que j'ai essayé de dire depuis La Nuit des prolétaires. Cela n'a évidemment pas fait plaisir aux stratèges en chambre. Et pourtant je ne vois pas comment ni quoi discuter si on ne part pas de là : comment penser ce qui est "voulu" quand des gens se mettent ensemble, changent la destination d'un lieu et ouvrent un temps différents? Comment repenser temps et "volonté" pour parler de cela?"

Jacques Rancière, En quel temps vivons-nous ? - p31  




07/07/2017

Jacques Derrida à propos de l'athéisme et de la croyance (EN)



Je connais pas trop cet homme là, à priori pas mon truc même si ici je vois ce qu'il veut dire. Une drôle de boucle qui veut que plus tu testes ton athéisme, plus tu le questionnes, plus tu construis un système de croyances ; qui te permet de contourner les religions tout en donnant du sens, mais qui n'est que cela au final : un système de croyance. Qu'est ce que la fois?

P. 

"Pour Jacques Derrida l'athéisme se distingue donc peu de la foi. En poussant la déconstruction aussi loin que possible, il laisse venir un discours où le théologique frôle l'hyper-athéologique. On ne peut pas plus se fier à l'athéisme, même le plus radical, qu'à la religion. Les uns et les autres n'ont pas de fondement sûr, ils puisent au désenchantement."

"Derrida le reconnaît, il "passe à juste titre pour athée". Mais pour autant, il n'écrirait probablement pas une phrase comme "Je suis athée" [à cause du verbe être]. Il ne se laisserait pas enfermer dans une définition aussi étroite. A la question Croit-il en Dieu? Il ne répondrait rien, car ce qu'on nomme Dieu, omniprésent et absent, appelle d'autres noms. S'il devait s'interroger sur les déguisements de Dieu, il chercherait plutôt ceux sous lesquels il n'apparaît pas (lire la page : Derrida et la théologie négative, plus détaillée sur ce point). Mais cela ne l'empêche pas d'avoir beaucoup écrit sur Dieu, la religion , le tout autre, le christianisme, son judaïsme à lui, et même aussi, même s'il ne l'avoue pas, sur quelques questions cabalistiques ou sa Cabale à lui, etc. Son intérêt pour la promesse, l'eschatologie et le messianisme, pour l'inouï, la foi et ce qu'il appelle la fiabilité (ou fiduciarité), ne s'est jamais démenti."

Source du texte : http://www.idixa.net/Pixa/pagixa-0612221308.html

28/06/2017

"Il faut en finir avec la conviction qu’il n’y a qu’une seule voie"

Extrait retranscrit de l’émission Contre-courant du 30 mars dernier, animée par la journaliste Aude Lancelin, et avec Alain BadiouLe thème de cet épisode :  "Qu'est ce que la politique?Je vous mets l'émission complète juste en dessous. La seconde moitié est plus intéressante, l'extrait présenté débute à 52:50.

#dialectics 

Alain Badiou : « Il faut ramener à la surface l’hypothèse communiste. C’est la question de la voie, des deux voies. Il faut revenir à une situation où il y a deux possibilités et non pas une seul. Ca c’est un travail qui se passe aussi dans les discussions avec les gens, avec les rassemblements. Mais c’est une discussion majeure parce que depuis les années 80, le terrain est occupé par l’hypothèse qu’il n’y a qu’une seule voie. Tant que nous ne créons pas d’écart significatif, à grande échelle, dans l’esprit des gens, simplement sur ce point qu’il faut passer du un au deux, et bien on sera dans une grande difficulté. (...) 
C’est la même chose que ce que tentait Marx. On est revenu au commencement. Il faut re-commencer. Heureusement on en sait un peu plus que lui quand même. Il faut implanter par tous les moyens l’existence d’une autre voie et organiser dans la société la lutte entre les deux voies, que la scène générale soit la lutte entre les deux voies. Après, le caractère tactique des choses sera discuté, à l’intérieur de chaque voies d‘ailleurs, mais encore faut-il en finir – c’est une tâche peut être longue et difficile mais elle est prioritaire, il faut en finir avec la conviction qu’il n’y a qu’une seule voie. (...)
L’existence de deux voies à partir de laquelle commence la possibilité de la politique ne peut pas se contenter de la négation d’une des voies. Que vous soyez opposé à ce que les politiciens du jour vous présentent, que vous meniez des combats contre cela, etc. Que vous disiez « Moubarak dégage ! » en Egypte. Tout cela est nécessaire et le mouvement de masse est volontiers négatif en ce sens là. Les gens se rassemblent facilement contre quelque chose. Mais ce ‘contre quelque chose’ ne constitue pas encore une politique. De ce point de vue le contre quelque chose c’est la révolte. Je redirais avec Mao « on a raison de se révolter » et si les gens ne se révoltent pas, il ne se passe rien à la fin des fins. La révolte est absolument nécessaire. Mais en même temps, la révolte ne dit pas exactement, n’ouvre pas la discussion entre les deux voies. Elle consiste à dire « tel aspect de la voix dominante nous n’en volons pas ». Peut-être que nous voulons autre-chose mais cet autre-chose reste stratégiquement nébuleux. Et il faut faire attention au fait que le mouvement a en général une forte unité négative mais que si on vient y discuter politique, véritablement, il va forcement se diviser. Il va forcement se diviser parce que les deux voies elles existent, quand on les fait vraiment exister, elle existent dans l’esprit de chacun. C’est une discussion, c’est un choix, c’est une option. Ca n’est pas la même que de dire, « ce gouvernement est néfaste et je n’en veux pas ».

C’est donc un des aspects du travail dont vous me demandez de vous dire en quoi il consiste. Il faut absolument être présent dans les grands mouvements populaires et il faut y être présent en essayant de chercher à ce que quelque chose d’affirmatif, quelque chose de positif soit mis en discussion. C’est toujours très difficile parce que la négation est beaucoup plus facilement unanime que l’affirmation, mais il faut en passer par là. Et si on considère que l’unité du mouvement est la seule chose qui doit être garantie à tout coût, on va échouer parce qu’on ne pourra pas faire cela. Il faut avoir du courage et dire « je suis du mouvement, mais je suis aussi le partisan de cette hypothèse là, de cet voie stratégique là, et je veux savoir comment le mouvement s’articule avec ça ». Il faut être dans une maxime que les chinois, une fois de plus, avaient mis à l’ordre du jour comme un point fondamentale de discussion philosophique : Est-ce que la dialectique c’est deux qui fusionnent en un, ou est-ce que la dialectique c’est un qui se divise en deux. Et ils avaient conclu que c’était la deuxième formule qui était la vraie formule communiste. »        



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27/06/2017

Badiou : Dialectique Affirmative (EN)

Je bouffe du Badiou et du Zizek comme jamais j'en avais eu le courage. Je partage ici du Badiou, une conférence bien touffue, en anglais (désolé), en vidéo, en transcript et en résumé. Sérieux c'est pas trop perché, y a de très belles idées, tentez le coup. Il y parle de démocratie, de dialectique, de nature humaine, de l'Etat, de la tension entre son intérieur et de son extérieur, et de bien d'autres choses.

Le résumé est sous la vidéo.
Le transcript est ici.

P.



Alain Badiou : From Logic to Anthropology, or Affirmative Dialectics'

« (…) After two centuries of successes and dramatic failures in revolutionary politics, and in particular after the dramatic failure of the state form. But we also have to find a new logic, a new philosophical proposition adequate for all forms of creative novelty. (...)
I think the burden today is to find a way of reversing the classical dialectic logic inside itself so that the affirmation, or the positive proposition, comes before the negation instead of after it. My attempt is to find a dialectical framework where something of the future comes before the negative present. (…) 
Certainly revolt and class struggle remain essential—and critique of the past too, like criticism of all forms of artistic creation. All that is a necessity. (…) 
The question is not whether we need to struggle or oppose. Certainly we need. (…) 
I am saying first that to open a new situation, a new possibility, we must have something like a new creativity of time, in time, and a new creativity inside the situation. (…)  
Event is the creation of a new possibility of a new world. In Paris Mai '68 there was an opening for a new possibility of new forms of political action and this is what I call an Event. After that there is the possibility of the materialization of the consequences of this new possibility. (…) 
Naturally, among these consequences there are different forms of negation (we find finally negation): struggle, revolt, a new possibility to be against something, destruction of some part of the law, and so on. But these forms of negation are consequences of the birth of the new subjectivity and not the other way round. (…)
Today ‘democracy’ is really the common term of all the ideological dispositions of the states—of pretty much all the reactionary states in fact. Therefore we must declare our first rupture by saying that we don't accept that sort of ideological line, which ultimately amounts to the idea that one can't resist democracy without being a terrorist or an ally of despotism. How can we do that? How can we really create a new way to critique the false democratic order? (…)
The question is to inscribe democracy in the new affirmative framework. (…)
We can distinguish popular democracy from bourgeois democracy or perhaps to be more contemporary, popular democracy from European democracy. The possibility of that sort of division is also the possibility of thinking democracy as something other than the pure form of state. It is a decision not only between popular democracy and European democracy but between true democracy and democracy as a form of state, as a form of power, as a form of oppressive state or as the form of a class state. All that is the classical discussion. The point is today that this strict duality is not convincing in the framework of a new dialectical thinking. It's too easy to negatively determine the popular democracy as being all that the state democracy is not. To escape that sort of game of negation and negation of negation, I do not present two understandings of democracy—not a division in two, but in three. (…)
For Rancière democracy exists only from time to time. t's not a state of affairs, it's something that happens: we have democracy sometimes, but not very often. It's normal if democracy is the name of an exceptional situation concerning the people. What Rancière says is that this sort of democracy is in fact the activation of the principle of equality. (…)
In the movement of revolutionary rupture we have the true meaning of democracy, mass democracy, but it's not exactly the political concept of democracy. This is why I propose to say that it's much more the historical definition of democracy than it's political definition. (…) 
In the new dialectical framework we must find a third sense of democracy, which is properly the democracy of the determination of the new political subject as such: the new political subject as [in] the consequences of the Event and not only in the Event as such. This is my ultimate conception. Democracy at this level is a name for the elaboration of the consequences of collective action and for determining the new political subject. So we have three terms in appearance: democracy as a form of state (first affirmation), democracy as a mass democracy (second affirmation), and after that we have collective action,. (…) 
But in fact we have four terms finally, because after the classical representative democracy, which is a form of state power; after mass democracy, which is of historical nature; after democracy as a political subject; we have as in Hegel the process of all that returning to the first term—returning to the state. What is the democratic process when it is returning to the first term? It is necessarily the possibility of declining the state itself, as in Marx. It's the possibility—the horizon—of the progressive disappearance of the state as the central necessity, as a form of power. So the fourth term is the first three terms when they return to the first (to the state) in the Communist vision of the vanishing of the state, the historical process of the progressive disappearance of the first term. (…)
Revolution is first the possible destruction of the state of the enemies and after that the creation of a new state or finally the creation of the conditions of the vanishing of the state. (…)
We must affirm that our goal is not by itself the state, the seizing of the state power. We have to be in some sense outside state power (subjectively) but we know that the state is always in the field of political questions, and in the space of action. If our political subjectivity is not inside the state, inside the common law and so on, if to the contrary it is on the outside of the state, [then] the state is nonetheless in the field of every political action today. (…)
We will have to create something, some new form of organization that will be face-to-face with the state; not inside the state but face-to-face with it. (…)
The big difficulty—and it's really the big difficulty in the new dialectical framework—is to maintain the possibility of being outside while prescribing something that concerns the inside. (…)
The problem is simple. For the state—and it's a general law of the power—to be somebody is to be inside the state. Otherwise you cannot be heard at all. How can we be somebody without being on the inside? (…)
If I can organize something outside the state, it's real. It's real to be outside the state. If you are saying that it's not real [then] you are saying that all that is real is only that which is inside the state. That is precisely the return to the old form of political negativity. I know, naturally, that the Event comes first, that the reality of action comes first. Without the French Revolution, without the action of workers; without the real and concrete movement of the Parisian proletariat, Marx certainly would never have created his political concept of proletariat. The movement is not from the concept of proletariat to the proletarian movement—the real becoming is from the revolt of workers to the new proposition (…) 
The real question is whether today the political determination is to be outside or inside the state. The fundamental idea [is that] to be in the new affirmative dialectical framework you must be outside the state. Inside the state you are precisely in the negative figure of opposition. (…)
Capitalist anthropology is the conviction that fundamentally Humanity is nothing else but self-interested animals. It's a very important point (…) 
Modern Capitalism is always speaking of human rights, democracy, freedom and so on, but in fact we can see concretely that under all these names we find nothing else but human animals with interests, who have to be happy with products. We have to search for the Good Life in the big market. What the Capitalist world names ‘subject’ or ‘citizen’ is something like ‘animals in front of the market’ and nothing else. This is really its definition of the Human. It's only with this definition of the human being that Capitalism can work: ‘animals with interests’. (…)
The human being is properly living only when he or she is the agent of the passage from particularity to universality, from local process to genericity, from the singular world to an eternal truth. (…) »

25/04/2017

Brève définition de la Gauche

C'est le genre d'exercices auxquels je ne me livre pas sans partir en sucette dans un délire bien plus spirituel que ce que Frédéric Lordon propose ici. En plus chez lui, ça tient en quatre minutes! (Et c'est extrêmement rare qu'il soit aussi clair...) Un peu de sens dans les mots. Ca fait une excellente base, pour la recomposition de la gauche politique mais aussi, finalement, plus largement, de toutes les gauches.

CA COMMENCE A 26:09'




24/04/2017

Pour les 6,4 % de "social-traitres" LOL XO XO



Tu as voté Hamon à la présidentielle empêchant du même coup la gauche d'être présente au second tour. C'est pas grave, c'est pas de ta faute, tu n'as pas vu la faille spatiaux temporelle se dessiner, ou tu n'as pas voulu y croire, on s'en fout. (C'était quand même une occasion de faire un truc pas trop mal comme il ne s'en produit pas très souvent...) Mais c'est pas (trop) grave.* Juste, comme ça tu essaies de comprendre, y avait un calcul à faire en fait. Et pas simplement contre cette saloperie d'épouvantail qu'est devenu le FN dans ce genre de circonstances. D'ailleurs y aurait-il eu y un front républicain autour de Mélenchon ? Pour me faire flipper j'aime me dire que non. Mais ouais, y avait aussi un calcul à faire dans un second tour JLM / Macron, sur le mode de l'élection américaine en misant sur celui qui veut un temps soit peu faire la nique à la mondialisation. (Bernie aurait gagné face à Trump.) La part du FN qui vote protectionnisme avant racisme, plus toi mon cher 6,4%, et encore quelques poussières d'électeurs, nous auraient peut-être permis de faire un pas de coté. Mais c'est pas grave.

P.

*On perd tellement de temps avec vos conneries! Et il ne s'est même pas débarrassé de son parti!

23/04/2017

Tocqueville sur la Révolution de 1848

Un peu de sens dans les mots avec un peu d'histoire. Ici c'est le dernier qui compte. 


"Deux choses me frappèrent surtout : la première ce fut le caractère, je ne dirai pas principalement, mais uniquement et exclusivement populaire de la révolution qui venait de s'accomplir. La toute-puissance qu'elle avait donnée au peuple proprement dit, c'est-à-dire aux classes qui travaillent de leurs mains, sur toutes les autres. La seconde, ce fut le peu de passion haineuse et même, à dire vrai, de passions vives quelconques que faisait voir dans ce premier moment le bas peuple devenu tout à coup seul maître de Paris. (...) Durant cette journée, je n'aperçus pas dans Paris un seul des anciens agents de la force publique, pas un soldat, pas un gendarme, par un agent de police ; la Garde nationale avait disparu. Le peuple seul portait les armes, gardait les lieux publics, veillait, commandait, punissait ; (...) Dès le 25 février, mille systèmes étranges sortirent impétueusement de l'esprit des novateurs, et se répandirent dans l'esprit troublé de la foule. Tout était encore debout sauf la royauté et le parlement, et il semblait que du choc de la révolution, la société elle-même eût été réduite en poussière, et qu'on eût mis au concours la forme nouvelle qu'il fallait donner à l'édifice qu'on allait élever à sa place ; chacun proposait son plan ; celui-ci le produisait dans les journaux ; celui-là dans les placards, qui couvrirent bientôt les murs ; cet autre en plein vent par la parole. L'un prétendait réduire l'inégalité des fortunes, l'autre l'inégalité des lumières, le troisième entreprenait de niveler la plus ancienne des inégalités, celle de l'homme et de la femme ; on indiquait des spécifiques contre la pauvreté et des remèdes à ce mal de travail, qui tourmente l'humanité depuis qu'elle existe. Ces théories étaient fort diverses entre elles, souvent contraires, quelquefois ennemies ; mais toutes, visant plus bas que le gouvernement et s'efforçant d'atteindre la société elle-même, qui lui sert d'assiette, prirent le nom commun de socialisme."

Alexis de Tocqueville - Souvenirs, texte établi par Luc Monnier, Folio Gallimard, 1964, pp.128-129


14/04/2017

He comes and he goes but he never leaves

On est encore une fois bien dans la merde et moi je reviens ici, comme à chaque fois que j'attend quelque chose, à chaque fois qu'un minuscule courant d'espoir s'infiltre dans l'entrebâillure d'une porte que je refuse de fermer. Car oui, en fonction de ce qui sortira des urnes le weekend prochain, la situation, la perspective historique peut s'améliorer. Je pèse mes mots. S'améliorer. Pas se régler, pas de quoi faire rêver. Juste un pas dans la bonne direction, un point pour Nous putain, alors qu'absolument tout dans le monde nous échappe.

J'aime pas Mélenchon. Je crois qu'il est un peu mieux qu'il n'a été, mais je ne suis pas certain que les hommes changent. Quoique j'en pense, "lui président", c'est quand même un point pour nous. C'est certainement pas celui que j'imaginais, et encore moins un coup gagnant. Moi aussi je rêve de prendre une voie bien plus noble, plus spontanée, sans tribun aucun. Mais sérieusement, ça fait combien de temps qu'on se prend raclée sur raclée, sur toute la surface du globe, sur tous les sujets?

C'est vrai qu'on pourrait encore attendre. Attendre que tout moisisse encore un peu, en espérant que les superstructures se décomposent les premières. A mon avis, il y aurait dans cette hypothèse de grandes chances pour que le corps social se décompose le premier et disparaisse.

Ou alors, les choses pourraient aussi tourner au vinaigre. Je ne suis pas sur que beaucoup d'Américains ayant voté Trump comme on lance une grenade, soient encore satisfaits de leur choix moins de cinq mois après son élection.

A nous maintenant de choisir, ou pas, entre nos Clinton et nos Trump, nos Sanders aussi. Un choix idiot, risible face à l'ampleur des évolutions qui nous attendent. Encore une fois, qui ne règle rien, mais qui peut peut-être nous éviter de devoir composer avec les pires.

Peut-être qu'on aura pas d'autre choix dans deux semaines que d'opter pour cinq années et bien plus d'ingouvernabilité. Mais en attendant, sérieux... Faites ce que vous voulez.

P.

 
CAMARADES