Si vous ne connaissez pas Jacques Rancière, c'est le moment. Vous pouvez commencer par le petit bouquin de discussion avec Eric Hazan, En quel temps vivons-nous? sorti il y a quelques semaines. 73 pages de bonheur. Après vous pourrez regarder les vidéos en dessous où il détaille son point de vue. Je vous mets un extrait du livre qui je l'espère, vous convaincra de passer du temps sur Youtube. ;)
P.
(c'est moi qui souligne)
(c'est moi qui souligne)
"On redécouvre aujourd'hui que l'histoire de l'égalité est une histoire autonome, qu'elle n'est pas le développement de stratégies fondées sur l'analyse des transformations objectives des techniques, de l'économie, etc. mais une constellation de moments - quelques jours, quelques semaines, parfois quelques années - qui créent des dynamiques temporelles propres dotées de plus ou moins d'intensité et de durée. A chaque fois, c'est un nouveau commencement et à chaque fois on ne sait pas jusqu'où il ira. Et la prétention d'en tirer les leçons ne mène pas bien loin. L'idée des leçons tirées des expériences antécédentes suppose toujours qu'on va trouver cette fois la bonne façon de faire ce qu'on veut. Malheureusement, ce n'est pas ce qu'on veut qui détermine la conduite d'un moment d'égalité. C'est le contraire : la "volonté" est un résultat, c'est la modalité que prend le déploiement du moment égalitaire. Redécouvrir l'aspect monadique des moments égalitaires, c'est aussi redécouvrir l'ambiguïté de ces dynamiques. L'émancipation, cela a toujours été une manière de créer au sein de l'ordre normal du temps un temps autre, une manière différente d'habiter le monde sensible en commun. Cela a toujours été une manière de vivre au présent dans un autre monde à venir. On ne travaille pas pour l'avenir, on travaille pour creuser un écart, un sillon tracé dans le présent, pour intensifier l'expérience d'une autre manière d'être. C'est ce que j'ai essayé de dire depuis La Nuit des prolétaires. Cela n'a évidemment pas fait plaisir aux stratèges en chambre. Et pourtant je ne vois pas comment ni quoi discuter si on ne part pas de là : comment penser ce qui est "voulu" quand des gens se mettent ensemble, changent la destination d'un lieu et ouvrent un temps différents? Comment repenser temps et "volonté" pour parler de cela?"
Jacques Rancière, En quel temps vivons-nous ? - p31