Extrait retranscrit de l’émission Contre-courant du 30 mars dernier, animée par la journaliste Aude Lancelin, et avec Alain Badiou. Le thème de cet épisode : "Qu'est ce que la politique?" Je vous mets l'émission complète juste en dessous. La seconde moitié est plus intéressante, l'extrait présenté débute à 52:50.
#dialectics
Alain Badiou : « Il faut ramener à la surface l’hypothèse communiste. C’est
la question de la voie, des deux voies. Il faut revenir à une situation où il y
a deux possibilités et non pas une seul. Ca c’est un travail qui se passe aussi
dans les discussions avec les gens, avec les rassemblements. Mais c’est une
discussion majeure parce que depuis les années 80, le terrain est occupé par
l’hypothèse qu’il n’y a qu’une seule voie. Tant que nous ne créons pas d’écart
significatif, à grande échelle, dans l’esprit des gens, simplement sur ce point
qu’il faut passer du un au deux, et bien on sera dans une grande difficulté.
(...)
C’est la même chose que ce que tentait Marx. On est revenu
au commencement. Il faut re-commencer. Heureusement on en sait un peu plus que
lui quand même. Il faut implanter par tous les moyens l’existence d’une autre
voie et organiser dans la société la lutte entre les deux voies, que la scène
générale soit la lutte entre les deux voies. Après, le caractère tactique des
choses sera discuté, à l’intérieur de chaque voies d‘ailleurs, mais encore
faut-il en finir – c’est une tâche peut être longue et difficile mais elle est
prioritaire, il faut en finir avec la conviction qu’il n’y a qu’une seule voie.
(...)
L’existence de deux voies à partir de laquelle commence la
possibilité de la politique ne peut pas se contenter de la négation d’une des
voies. Que vous soyez opposé à ce que les politiciens du jour vous présentent,
que vous meniez des combats contre cela, etc. Que vous disiez « Moubarak
dégage ! » en Egypte. Tout cela est nécessaire et le mouvement de
masse est volontiers négatif en ce sens là. Les gens se rassemblent facilement
contre quelque chose. Mais ce ‘contre quelque chose’ ne constitue pas encore
une politique. De ce point de vue le contre quelque chose c’est la révolte. Je
redirais avec Mao « on a raison de se révolter » et si les gens ne se
révoltent pas, il ne se passe rien à la fin des fins. La révolte est absolument
nécessaire. Mais en même temps, la révolte ne dit pas exactement, n’ouvre pas
la discussion entre les deux voies. Elle consiste à dire « tel aspect de
la voix dominante nous n’en volons pas ». Peut-être que nous voulons
autre-chose mais cet autre-chose reste stratégiquement nébuleux. Et il faut
faire attention au fait que le mouvement a en général une forte unité négative
mais que si on vient y discuter politique, véritablement, il va forcement se
diviser. Il va forcement se diviser parce que les deux voies elles existent,
quand on les fait vraiment exister, elle existent dans l’esprit de chacun. C’est
une discussion, c’est un choix, c’est une option. Ca n’est pas la même que de
dire, « ce gouvernement est néfaste et je n’en veux pas ».
C’est
donc un des aspects du travail dont vous me demandez de vous dire en quoi il
consiste. Il faut absolument être présent dans les grands mouvements populaires
et il faut y être présent en essayant de chercher à ce que quelque chose
d’affirmatif, quelque chose de positif soit mis en discussion. C’est toujours
très difficile parce que la négation est beaucoup plus facilement unanime que
l’affirmation, mais il faut en passer par là. Et si on considère que l’unité du
mouvement est la seule chose qui doit être garantie à tout coût, on va échouer
parce qu’on ne pourra pas faire cela. Il faut avoir du courage et dire « je
suis du mouvement, mais je suis aussi le partisan de cette hypothèse là, de cet
voie stratégique là, et je veux savoir comment le mouvement s’articule avec ça ».
Il faut être dans une maxime que les chinois, une fois de plus, avaient mis à
l’ordre du jour comme un point fondamentale de discussion philosophique :
Est-ce que la dialectique c’est deux qui fusionnent en un, ou est-ce que la dialectique
c’est un qui se divise en deux. Et ils avaient conclu que c’était la deuxième
formule qui était la vraie formule communiste. »
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