28/01/2011

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21/01/2011

EN BREF - 21/01/11

En bref, très bref, ce que nous avons lu aujourd'hui dans la presse...

Ben Laden serait vivant contrairement à ce que certains pensent. Il est tellement vivant qu'il dit encore et toujours la même chose, à tel point que cela en devient crédible, pas ses menace mais le fait qu'il soit vivant...
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2011/01/21/ben-laden-les-positions-de-sarkozy-couteront-cher-a-la-france_1468608_3216.html

Source : LeMonde.fr

La DGSE savait, en même temps c'est son boulot... Une note de mai 2002 récemment dé-classifiée concernant les attentats de Karachi estime que "l'attentat contre les ressortissants français ne porte pas les marques d'une opération montée par Al-Qaida", et également qu'on "ne peut écarter la possibilité d'une piste financière.En effet, selon la note "au Pakistan, les contrats militaires sont célèbres pour les pots de vin et les commissions demandées par les officiers pakistanais et les hommes politiques."
http://www.lemonde.fr/politique/article/2011/01/21/affaire-karachi-la-dgse-evoquait-la-piste-financiere-dans-une-note-de-mai-2002_1468544_823448.html 

Source : LeMonde.fr

Un rapport bidon prévoit le changement climatique de façon encore plus catastrophique que les derniers. Ce qui est catastrophique c'est que le rapport BIDON est repris par toutes les agences de presses et médias. La première chose qu'on vous apprend en école de journalisme, c'est pourtant qu'un rectificatif ne sert à rien parce que situé en fin de journal et écrit en très petit, personne ne le lit. Les gens trouillent et pour certains c'est très bien comme ça!
http://www.lemonde.fr/planete/article/2011/01/21/un-rapport-trompeur-sur-le-changement-climatique-circule-sur-le-net_1468511_3244.html

Source : LeMonde.fr

Une révolution a eu lieu en Islande, elle se poursuit tranquillement sans que personne n'en sache rien. Deux révolutions populaires en si peu de temps... WE ARE WINNING!!
http://www.bakchich.info/Desinformation-par-omission,12844.html

Source : Bakchich.info

21/01/2011

“L’Internet civilisé”, histoire d’un concept à géométrie variable

Le prochain sommet du G8 à Deauville, en mai, ne sera finalement pas consacré à la régulation d'Internet. C'était le souhait de Nicolas Sarkozy, avait fait savoir l'entourage du président de la République début janvier ; mais au final, cette question sera évoquée lors d'une réunion plus informelle en mai, avant une possible réunion du G20 à Cannes consacrée au droit d'auteur. Le fond du discours présidentiel a également légèrement évolué au cours du mois : "Nous allons mettre sur la table une question centrale, celle de l'Internet civilisé, je ne dis pas de l'internet régulé, je dis de l'internet civilisé", a-t-il insisté lors de ses vœux au monde de l'éducation et de la culture.
Si l'expression d'"Internet civilisé" est régulièrement apparue dans la rhétorique gouvernementale ces dernières années, elle est évoquée indistinctement pour critiquer les révélations de WikiLeaks ou la lutte contre le téléchargement illégal. C'est toutefois dans une lettre du président Sarkozy, adressée à son ministre des affaires étrangères Bernard Kouchner et révélée par la Quadrature du Net, en octobre 2010, que le concept est décrit de la manière la plus explicite.
"Les enjeux liés au développement d'Internet revêtent en effet une importance croissante, à la fois d'ordre politique, culturel, économique, industriel, sécuritaire. Il est clair que tant la nature même, transnationale, d'Internet que le caractère stratégique de ces enjeux appellent une réflexion et une coordination internationales. (...) Cette problématique doit être abordée de manière globale, avec le souci de prendre en compte l'ensemble des intérêts concernés, et l'objectif de bâtir un 'Internet civilisé'".
UNE EXPRESSION POPULARISÉE LORS DES DÉBATS SUR L'HADOPI

En définissant ainsi quels sont les principes de son "Internet civilisé", le président Sarkozy s'oppose à la position publique prise quelques mois plus tôt par son ministre des affaires étrangères. Dans une tribune sur Le Monde.fr, au mois de mai, Bernard Kouchner décrit Internet comme "l'outil le plus formidable de mise à bas des murs et des frontières qui enferment." "Je crois qu'une bataille d'idées est engagée entre, d'un côté, les tenants d'un Internet universel, ouvert, fondé sur la liberté d'expression et d'association, sur la tolérance et le respect de la vie privée et, de l'autre, ceux qui voudraient transformer Internet en une multiplicité d'espaces fermés et verrouillés au service d'un régime, d'une propagande et de tous les fanatismes", poursuit-il.

Si la missive de Nicolas Sarkozy sonne comme une mise au point, le terme "Internet civilisé" n'est cependant pas un monopole présidentiel. A partir de 2008, l'expression est régulièrement employée par le député UMP Franck Riester, rapporteur du projet de loi Hadopi. "C'est maintenant à l'Assemblée nationale qu'il appartient de faire en sorte que les consommateurs, les créateurs et les centaines de milliers de salariés des industries culturelles puissent tirer parti des fabuleuses opportunités, culturelles aussi bien qu'économiques, d'un Internet plus 'civilisé'", écrit-il par exemple dans son rapport parlementaire. Une phrase reprise quasiment mot pour mot par Christine Albanel, alors ministre de la culture, lors des débats sur le texte à l'Assemblée.

Dans un discours prononcé en décembre 2010, son successeur, Frédéric Mitterrand, tente toutefois de gommer les aspects les plus répressifs du projet. "Hadopi est un dispositif pédagogique, qui repose sur une réponse graduée, sur des messages d'avertissement adressés aux internautes. Il ne s'agit pas de 'surveiller et punir' mais de contrôler et de garantir, en d'autres termes de 'civiliser' Internet."

BLOCAGE DE SITES


Mais pour Christine Albanel, un Internet "civilisé" est également un Internet débarrassé de ses contenus jugés choquants. En mars 2009, une chanson du rappeur Orelsan, intitulée "Sale pute", provoque une controverse sur son caractère sexiste supposé. La ministre de la culture appelle alors les chaînes de télévisions et les sites Internet à boycotter la chanson. "Cette démarche s'inscrit pleinement dans la politique que je souhaite mener en faveur d'un Internet civilisé", explique-t-elle alors. Une conception partagée par Eric Besson, ministre de l'économie numérique : fin 2010, alors que le site WikiLeaks commence à publier des télégrammes diplomatiques américains, il demande à ce que l'hébergement d'une partie du site en France soit bloqué. "Wikileaks n'a pas de place dans l'Internet civilisé que nous devons construire", explique-t-il alors pour justifier sa demande – qui n'aboutira pas.

Popularisé par le gouvernement français, le concept "d'Internet civilisé" se répand ailleurs dans le monde : la puissante Recording Industry Association of America (RIAA), l'équivalent américain de la Sacem, a commencé à utiliser le terme en 2010, dans le contexte d'une campagne de lobbying visant à obtenir le blocage de sites Web jugés illégaux.

Pourtant, le choix de cette expression était quelque peu malheureux : en 2006, un an avant que Nicolas Sarkozy fasse de l'"Internet civilisé" son cheval de bataille, le ministère chinois de la communication avait lancé un programme poétiquement nommé "Que soufflent les vents d'un Internet civilisé". Il prévoyait le blocage par les fournisseurs d'accès à Internet des sites jugés amoraux ou politiques.
 
Publié le 21 janvier 2011 par Laurent Checola et Damien Leloup sur LeMonde.fr
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/01/21/l-internet-civilise-histoire-d-un-concept-a-geometrie-variable_1468412_651865.html

Photo : AFP/Philippe Desmazes

21/01/2011

VIDEO : Pourquoi les prix de l’uranium explosent sur les marchés

Les prix de l’uranium explosent sur les marchés. Est-ce normal ? Quelles sont les production et consommation mondiales d’uranium pour les centrales nucléaires ? Quels seront les pays gagnants ou perdants ? Qu’est-ce qui peut se passer, si la production d’uranium ne peut pas augmenter aussi vite que les besoins ? Dans un avenir très proche, y aura-t-il assez d’uranium pour satisfaire la demande ou… est-ce que cela se traduira par d’autres guerres de l’énergie comme avec le pétrole et le gaz ?

Michael Dittmar apporte son éclairage.



Trouvé sur Mecanoblog
Source: Watts2000

21/01/2011

Renversez un dictateur, perdez un point chez Moody's

Les agences de notations financières sont remplies de jeunes gens doués, spécialistes de calculs d'intérêts et d'évaluation des financiers. Ils ne travaillent pas à l'affect, ils sont froids comme le bistouri d'un médecin-légiste.
L'agence Moody's a demandé à ces spécialistes d'examiner la situation de la Tunisie, après l'incroyable révolution qui a conduit à la liberté d'un peuple. Ils ont soupesé les risques de défaut de paiement. Et décidé de rétrograder la note du pays. La dictature avait droit à un « Baa2 », la liberté n'aura qu'un « Baa3 ».
J'imagine ce qui s'est passé à l'intérieur du crâne de ces financiers-noteurs :
« Hum, plus d'instabilité (ah que la dictature est +++ en termes de stabilité ! ) ; hum, moins de tourisme, donc moins de rentrées de devises ; hum, hum, des recettes fiscales menacées par les troubles… »
C'est donc en toute logique que Moody's a abaissé sans attendre la note de la Tunisie et même jugé « négative » la perspective d'évolution de cette dernière. Eh oui, les révolutions, c'est porteur « d'incertitudes », dont les créanciers ont horreur. Les autres agences, Fitch et Standard and Poor's devraient emboîter le pas de l'agence américaine. En conséquence, les conditions de crédit accordées à la Tunisie seront durcies.
Pour sa part, Rue89 met un AAA+ à la Tunisie et aux Tunisiens. Parce qu'ils ont démontré un grand courage et parce que leur avenir est désormais plein d'opportunités. La note de Rue89 ne leur permettra peut-être pas de financer plus facilement leur dette, mais ses critères d'attribution nous semblent extrêmement pertinents.

Publié le 19 janvier 2011 par Pascal Riché sur Rue89
http://www.rue89.com/mon-oeil/2011/01/19/renversez-un-dictateur-perdez-un-point-chez-moodys-186512


Trouvé sur Des Nouvelles du Front
http://dndf.org/?p=8820&utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=renversez-un-dictateur-perdez-un-point-chez-moodys

20/01/2011

VIDEO : Quand les flics jouent aux barbus!!

Nous sommes le 18 janvier 2011 sur le plateau de l'emission Opinions sur France 24. On parle Tunisie, révolution et internet. Jean-Bernard Cadier recueille les propos de Fabrice Epelboin, l'éditeur de ReadWriteWeb. Vous trouverez la vidéo en bas de page. L'extrait que l'on retranscrit ici court entre 7:33 et 9:17.

" (...) Pourquoi le gouvernement n'a pas réagit plus fort?"

" Le gouvernement a réagit vraiment fort. Il y a une police de l'internet enfin, il y avait une police de l'internet en Tunisie qui est extrêmement agressive, particulièrement vicieuse, dans laquelle nous on est entré chez ReadWriteWeb, il y a un an, en pensant avoir affaire à des islamistes, pour s'apercevoir qu'en fait c'était des policiers qui jouaient aux islamistes pour terroriser la population et on les a complètement mis à découvert."

"Sur internet, vous pensiez avoir affaire à des islamistes et en fait vous vous êtes rendu compte que c'était des agents de l'État qui se faisaient passé pour des islamistes?"

"Absolument, une affaire monté de toute pièce par les agents de l'État pour faire croire à la population à la présence massive d'islamistes très agressif sur Facebook et la terroriser littéralement."

"Donc ils sont quand même très sophistiqués?"

"Il y a des techniques de community management comme on dit chez les professionnels, qui sont stupéfiantes parce que c'est vraiment au niveau d'un pays tout entier. Il s'agit de terroriser 1,6 million de Tunisiens, c'est pas rien. Et le tout avec des forces qui finalement ne sont pas si conséquentes, on les estime entre 600 et 1000 individus, avec des renforts du RDC. Mais malgré tout, arriver à terroriser 1,6 million de personnes avec si peu de ressource, ça demande quand même une certaine ingénierie sociale."

"Donc ça c'est la manipulation. Mais est ce qu'il y a des moyens techniques de baisser les débits, de fermer, d'interdire?"

"Il y a des moyens techniques de baisser les débits, de trier ce qui passe dans les tuyaux, très sophistiqués, il faudra remonter aux complicités parce que ce n'est certainement pas des moyens techniques que les Tunisiens ont développé par eux même. Ils ont eut des complicités de la part de grands noms de la technologie, de la même façon que, en son temps, IBM a assisté le régime nazi pour la shoah en informatisant la shoah. Il y a eut ce même genre de complicité technologiques et il faudra faire des enquêtes et il faudra obtenir la vérité sur ces complicités technologiques. (...) "


Maintenant que vous avez lu ceci, vous devez regarder cela :
90 Minutes : Attentats de Paris : On pouvait les empêcher, un reportage de Jean-Baptiste Rivoire et Romain Icard sur l'infiltration et la manipulation des groupes islamistes algériens par les servcices secrets et l'armée de ce même pays.

Sources :

18/01/2011

Tunisie, la révolution trahie

Pour l'écrivain Taoufik Ben Brik, les hommes changent, mais le système reste.

Une révolution ne l’est —n’est une révolution— que si elle fait table rase du passé. On ne tourne pas la page, on la déchire. Il est vrai qu’on s’est débarrassé de Ben Ali mais son legs est toujours resplendissant. On a coupé la tête mais le canard court toujours, vif. Le système bâti minutieusement par le général des services de Renseignements, Ben Ali, perdure à travers ses PPP. Pègre, Parti, Police. Son régime de Renseignements, unique au monde, fondé sur l’auto-délation, garde toujours sa capacité de nuisance. Sa police, la gardienne du temple du «benalisme», défend toujours ses «bastillons».

Le RCD, le parti-Etat, l’antre de tous les maux (régionalisme, clientélisme, élection truquée, dictature de proximité), affiche avec superbe son hégémonie. Le parlement unicolore-non-élu légifère. La justice et ses juges corrompus hantent toujours les dédales du Palais de l’injustice. La classe affairiste alliée à Ben Ali est rassurée. La constitution, ce parchemin hétéroclite confectionné sur mesure pour «El Presidente», n’est pas caduque. L’administration reste aux mains des orphelins du benalisme: gouverneurs, sous-préfets, ambassadeurs, consuls, PDG et directeurs généraux.

Le pouvoir exécutif est exercé par ses lieutenants; Foued M’bazaâ, président, Mohamed Ghannouchi, premier ministre, des ministres qui doivent toute leur carrière et qui ont parié jusqu’au bout sur lui. Avec, en prime, la course effrénée des nouveaux «collabos»: Néjib Chebbi, Mustapha Ben Jaafar, Ahmed Ibrahim; des inconnus au bataillon, sans ancrage populaire, sans charisme, des «sans» en puissance… qui ont toujours rêvé d’être «vizirs» sous Ben Ali. Un dream à la con.

Ils se disent représentatifs. De qui? De Mohamed Bouazizi, l’immolé, ce guerrier du trottoir? Représentatifs des Frechich, des Hmama, des Mejers, des M’thalith de Kasserine, de Tala, de Sidi Bouzid et de Jendouba, mes cousins, ces «apaches» de l’Atlas? Des mineurs de Jerissa, de Rdyed ou de Oum Leklil? Des chômeurs diplômés ou bidoun [«ceux qui n’ont rien»] des quartiers poudrières de Tunis, Sfax, Sousse et Bizerte? Des marins-pêcheurs de Zarzis ou de Kelibia? Des petites bonnes de Kroumirie? Des paysans du Kef, le far-west tunisien? Représentatifs des syndicalistes qui ont gardé le brasier de la colère intact? Des jeunes qui ont déferlé dans la rue? Des internautes, ces magnifiques «cyberguerilleros»? Des villes —ces cités grecques; l’Agora, la Polis— qui ont repris leurs mots à dire? Permettez-moi d’en douter, visages pâles. Vous nous avez leurré, arnaqué, volé un quart de siècle durant et vous vous apprêtez, ici et maintenant, à voler le rêve de la Tunisie vaillante. Vous ne cherchez pas à confisquer la révolution, plutôt vous complotez pour l’achever. Révolutionnaires de mon pays, réveillez-vous et brandissez l’étendard du refus face à l’ignominie.          

«NO PASARAN!»

Publié le 17 janvier 2011 sur Slate.fr par Taoufik Ben Brik
http://www.slate.fr/story/32837/tunisie-revolution-trahison

Photo : REUTERS/Zohra Bensemra

18/01/2011

L'ENS annule un débat avec Stéphane Hessel sur le Proche-Orient

Un débat sur le Proche-Orient, prévu mardi 18 janvier à l'Ecole normale supérieure (ENS), a été annulé par la direction de l'école. Au menu : une conférence de Stéphane Hessel sur la répression de la campagne de boycott des produits israéliens ("Boycott, désinvestissement, sanctions", aussi appelée BDS). L'auteur d'Indignez-vous ! devait faire tribune commune avec Leïla Shahid, représentante de la Palestine à Bruxelles, les pacifistes israéliens Michel Warschawski et Nurit Peled ou encore la députée socialiste Elisabeth Guigou. Le secrétaire général adjoint du Syndicat de la magistrature, Benoist Hurel, devait également participer à la conférence.
L'annonce de ce débat a provoqué le malaise du Conseil représentatif des associations juives de France (CRIF) et de plusieurs associations juives. "Il s'agissait de défendre le collectif BDS et ses membres, autrement dit les partisans du boycott anti-israélien, ce qui est illégal", a assuré Richard Prasquier, le président du CRIF, à l'AFP. Sur le site Internet du CRIF, M. Prasquier avait dénoncé "un crime contre l'esprit", commis par "quelques élèves de l'école convertis au terrorisme intellectuel". M. Prasquier s'est félicité de l'annulation de la conférence et a salué le rôle joué par Valérie Pécresse "ainsi que le rectorat de l'Université de Paris que nous avons contactés en urgence [et qui] ont réagi sans ambiguïté".

La direction de l'ENS assure, dans un communiqué, que "la réservation [de la salle] n'avait pas été faite en mentionnant la nature exacte de la réunion [réunion publique]". Une version contestée par les organisateurs du débat. Selon une source interne à l'ENS, la direction connaissait les noms de certains des invités, dont Stéphane Hessel et Leila Shahid, et s'était félicitée d'accueillir un tel débat, avant que la polémique n'éclate. Avant d'opérer un revirement, la semaine dernière, sous la pression du rectorat et du ministère.

Le Bureau national de vigilance contre l'antisémitisme, qui a déjà porté plainte contre M. Hessel, avait également demandé l'interdiction de ce colloque. L'ancien résistant est connu pour ses prises de position pro-palestiniennes. Toute une partie de l'ouvrage Indignez-vous ! est d'ailleurs consacrée à Gaza et à la Cisjordanie et à un appel à l'"insurrection pacifique". (Lire sur le blog Guerre ou Paix, des extraits des propos de Hessel sur la question palestinienne). "Dans cette conférence, il ne s'agissait pas de soutenir le boycott mais de débattre de la liberté d'expression, en particulier autour de la question israélo-palestinienne", s'est défendu l'un des organisateurs, Florian Alix, en soulignant que les invités n'étaient "pas nécessairement partisans du boycott".

RASSEMBLEMENT DE PROTESTATION

La campagne pour le boycott des produits israéliens, lancée par la société civile palestinienne, entend faire pression sur Israël à la manière des initiatives qui ont combattu l'apartheid en Afrique du Sud. Le gouvernement estime que cette campagne est "illégale". En octobre, une sénatrice écologiste et un militant du NPA, poursuivis pour avoir appelé au boycott d'Israël, ont été relaxés par la justice. Deux militants ont été récemment condamnés à des amendes de 1 000 euros, à Bordeaux puis à Créteil.

Mais d'autres procès pourraient avoir lieu en 2011. Environ 80 personnes sont poursuivies en France pour avoir appelé à boycotter des produits israéliens. Les partisans du boycott font circuler un appel de "soutien à Stéphane Hessel et autres victimes de la répression", qui a recueilli les signatures d'Oliver Besancenot, Noël Mamère, Pierre Joxe, Eva Joly ou le député UMP Etienne Pinte.

Les organisateurs de cette conférence dénoncent un acte de censure et appellent à un rassemblement, mardi en fin de journée, près du Panthéon, "pour défendre la liberté d'expression". Stéphane Hessel et plusieurs des intervenants devraient s'exprimer lors de ce rassemblement. Plusieurs étudiants de l'ENS ont également écrit à la direction de l'école pour demander des explications sur cette annulation.

Le groupe PCF-Parti de gauche au conseil de Paris et un groupe d'étudiants normaliens "indignés d'une ENS indigne" ont également protesté. Plusieurs intellectuels se sont émus de cette annulation. Dans une tribune sur Rue89, l'historienne Esther Benbassa, "opposée à cette campagne de boycott telle qu'elle est menée", estime que "le CRIF bafoue la liberté d'expression". Dans un texte commun, Alain Badiou, Jacques Rancière, Etienne Balibar et plusieurs chercheurs dénoncent un acte de censure.

Publié le 17 janvier 2011 sur LeMonde.fr
http://www.lemonde.fr/societe/article/2011/01/17/l-annulation-d-un-debat-sur-israel-avec-stephane-hessel-fait-polemique_1466885_3224.html

Photo : AP/François Mori

18/01/2011

Bonus : les traders stars ont déjà oublié la crise

En apparence, la promesse est respectée : les banques françaises ont bien réduit le montant total des bonus… mais sans toucher à ceux des traders vedettes. L'un d'entre eux a même reçu plus de 10 millions d'euros de bonus en 2009, et un rapport très critique démonte les arguments avancés pour justifier une telle générosité.

Ce rapport a été remis vendredi soir à Christine Lagarde – ce qui n'est pas le meilleur moment si l'on veut médiatiser un document de ce type. Il a été vite éclipsé par l'actualité tunisienne.

Son auteur, Michel Camdessus, a été gouverneur de la Banque de France puis directeur général du Fonds monétaire international. Et en 2009, il a été nommé « contrôleur des rémunérations des professionnels des marchés ».

Sa mission ? Vérifier que les banques ayant bénéficié de l'aide de l'Etat au plus fort de la crise (BNP Paribas, Société générale, le Crédit agricole, le groupe Banque Populaire-Caisse d'Epargne, le Crédit mutuel et Dexia) respectent les nouvelles règles encadrant la rémunération variable des traders, les fameux « bonus ».

Télécharger le rapportLes bonus des « stars » revenus au niveau d'avant la crise

Derrière un bilan global positif – la baisse du montant total des bonus –, le rapport vaut la peine d'être lu dans le détail. Il se révèle en effet très critique à l'égard des banques :
  • comme promis, le montant total des bonus a diminué : 3 milliards d'euros en 2009, soit 800 millions de moins qu'en 2007, avant que la crise financière éclate ;
  • le bonus moyen s'élevait tout de même en 2009 à 242 000 euros, et cette moyenne portant sur 8 200 professionnels cache des écarts importants ;
  • les bonus des traders vedettes n'ont pas été touchés  : la composition des bonus a changé (moins de « cash » et plus d'actions, pour limiter l'attrait de l'argent « facile »), mais leur montant lui-même n'a pas diminué par rapport à 2007 et même 2006 ;
  • les 400 traders disposant des plus hauts bonus ont reçu en moyenne 1,65 million d'euros ;
  • la moyenne grimpe à 4 millions d'euros pour les dix bonus les plus élevés ;
  • le bonus le plus élevé a dépassé 10 millions d'euros.
Le rapport ne révèle pas dans quelle banque travaille ce trader chanceux. Ni laquelle a dû être rappelée à l'ordre parce qu'elle tardait à réduire son enveloppe de bonus. Le rapport indique seulement que, « dans un cas », Michel Camdessus, a dû saisir l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP), l'organisme de contrôle, rattaché à la Banque de France. Contactées par Eco89, l'ACP et l'équipe de Michel Camdessus expliquent que cette information est protégée par le secret professionnel.

« Un système de rémunérations hors normes »

Pas besoin de noms, cependant, pour comprendre que le système des bonus n'a pas entièrement changé. Le rapport évoque « un système de rémunérations hors normes », et s'étonne de l'écart persistant entre :
  • les rémunérations variables et fixes : pour les 400 traders ayant reçu le plus de bonus, le « variable » représentait en moyenne onze fois le « fixe » ;
  • les bonus distribués et la situation financière des banques : trois des six banques contrôlées auraient versé « des rémunérations qui sont apparues excessives au regard [de leurs] résultats » ;
  • les salaires versés dans la finance et dans les autres secteurs d'activité.
Sur ce point – celui qui a le plus scandalisé l'opinion publique depuis le début de la crise –, le rapport offre d'ailleurs une comparaison frappante. Une illustration de l'écart entre la finance et l'économie dite « réelle » :
  • en 2009, les dix bonus les plus élevés représentaient en moyenne 4 millions d'euros ;
  • la même année, la rémunération totale – et pas seulement le bonus – d'un patron du CAC 40 ne représentait en moyenne « que » 2,5 millions d'euros.

La justification des banques remise en cause

Pourquoi ces montants et ces écarts ? L'explication des banques est connue : pour recruter les meilleurs professionnels puis les dissuader de filer chez les concurrents étrangers, il est nécessaire de leur proposer des bonus élevés. Logique, non ?
Logique, mais faux, à en croire le rapport de Michel Camdessus. Au détour du rapport, le contrôleur des rémunérations démonte ces arguments :
« Les taux de turn-over ou les chiffres globaux communiqués par les banques ont confirmé que l'application des nouvelles règles n'a pas eu, pour l'instant, d'impact significatif sur les mouvements de professionnels de marché. […]
Les banques françaises qui se mesurent aux leaders mondiaux ont été capables de recruter plus de collaborateurs qu'elles n'en ont perdus et ce, dans des proportions très importantes. […] L'idée d'une mise hors-jeu de nos banques sur les marchés de l'emploi du fait de leur politique de rémunérations n'est donc pas confirmée. »

Les traders sont en « position de force »

En résumé, les bonus records n'ont pas disparu, mais ils ne se justifient parfois ni par les résultats financiers de la banque, ni par les spécificités du marché de l'emploi dans la finance. Les traders bénéficieraient en fait d'une « position de force » au sein des banques, conclut le rapport de Michel Camdessus :
« Les professionnels de marché, du fait de la rentabilité de leurs activités et du prestige de leurs fonctions au sein des établissements, jouissent, en règle générale face à leur management, d'un fort ascendant dans le processus d'évaluation de leur performance. »
Les chiffres du rapport datent de 2009, et le montant des bonus pour 2010 devraient donc être plus élevés. De quoi peut-être relancer le débat, comme aux Etats-Unis, où deux des principales banques ont annoncé une bonne nouvelle à leurs traders :
  • Goldman Sachs a mis de côté 15,4 milliards de dollars (11,6 milliards d'euros), soit une moyenne de 435 000 dollars (327 000 euros) par trader ;
  • la banque JP Morgan a prévu, elle, de distribuer 9,73 milliards de dollars (7,3 milliards d'euros) en bonus, soit près de 370 000 dollars (278 000 euros) par trader.

Publié le 17 janvier 2011 sur Eco89 par François Krug

Photo : un trader dans une salle des marchés à Londres, le 22 janvier 2010 (Stefan Wermuth/Reuters).

18/01/2011

VIDEO : Quand la Laïcité se Déguise Contre l’Islam

RÉCUPÉRATION

Alors que se déroule le Congrès du Front national à Tours, afin d’élire celle qui va remplacer Jean-Marie Le Pen, voici un des thèmes qui sera au centre des conversations des militants frontistes. Bien plus organisées qu’un simple apéro « saucisson-pinard », mais tout aussi provocatrices, les « Assises sur l’islamisation dans nos pays » ont confirmées la récupération politique du concept de laïcité par les extrême-droites européennes.



Margaux Duquesne avec John Paul Lepers
Image : Julien Boluen
Montage : Etienne Broquet

A plus de 600 mètres de l’Espace Charenton dans le 12ème à Paris, il faut montrer patte blanche auprès des forces de l’ordre qui font barrage aux deux extrémités de la rue. Une manifestation rassemblant quelques centaines de personnes vient de se dissoudre. A l’intérieur, les discours ont commencé dès le matin. Toute la journée de ce 18 décembre, le public écoute sagement les divers intervenants. A la pause-déjeuner, les langues se délient, décomplexées. Il n’y a pas vraiment débat sur l’opportunité d’une telle rencontre, puisque la plupart des personnes qui ont payé leur place (10 euros !) semblent d’accord avec les idées énoncées par les personnalités au micro. A la buvette, une dame s’affole parce qu’on l’a filmé : « Vous n’êtes pas d’Europe 1, j’espère ? » « Heu, non… » « Ah bon, tant mieux, car eux ils sont d’extrême gauche… » Ces assises sentent le grand meeting politique, visant à rassembler les forces de l’extrême droite, en vue des prochaines élections présidentielles de 2012. On croise quelques fidèles du Front National, mais le public s’est élargi, certains se présentant issus de la gauche. Ici, on s’affiche résolument « laïque » : un concept bien pratique utilisé à toutes les sauces pour défendre des idées qui frôlent souvent la xénophobie et le racisme.

Les Assises sont organisées par le mouvement Bloc identitaire et l’association Riposte Laïque. Bloc identitaire a été fondé en 2003 par les dirigeants d’ultradroite Unité radicale. Fabrice Robert, son président, a affirmé que « le problème n’est pas qu’il  n’y a pas assez de mosquées. C’est qu’il y a trop de musulmans ». Depuis 2009, ce mouvement concurrence officiellement le FN puisqu’il est devenu un parti politique. « Il sera représenté par le candidat Arnaud Gouillon à la présidentielle de 2012 ». rappelle l’un de ses membres, fièrement. Bloc identitaire, qui mise sur les identités régionales, compte aujourd’hui environ 600 à 800 militants. Riposte Laïque, de son côté, est une association qui diffuse un journal sur le web et par courrier électronique, et qui se cache derrière la laïcité et les valeurs de la République pour lutter contre ce qu’elle appelle « l’islam politique, en France et dans de nombreux pays d’Europe et du monde », que Riposte Laïque décrit comme « offensive ». Riposte Laïque se revendique « de gauche, laïque et progressiste ». Elle a été fondée par des anciens de Respublica, une publication politique taxée d’islamophobie. Pierre Cassen, un ancien militant à la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), est aussi l’un des cofondateur. Bloc identitaire et Riposte Laïque s’étaient déjà associés pour l’ « apéro saucisson-pinard » du printemps 2010.
Sur l’affiche des Assises, on peut lire « Christian Vanneste, député UMP du Nord (sous réserve) ». Or ce député a démenti « avoir jamais pensé » se rendre aux Assises. Sur son blog, il publiait un billet, le 14 décembre, intitulé « Positivement laïc » où il commence par cette explication : « Depuis deux semaines déjà, j’ai prévenu les organisateurs d’une réunion organisée le 18 décembre  prochain consacrée à “l’islamisation” que je ne serai pas présent à cette manifestation. Je n’irai pas dissimulé sous un niqab dont j’ai justement souhaité l’interdiction… » Deux jours plus tôt, le site islamenfrance.fr publiait l’email que Vanneste avait envoyé au site, où il explique avoir prévenu les organisateurs qu’il ne s’y rendrait pas « étant retenu dans (s)a circonscription ce week-end là, par les préparatifs de la fête de Noël. » Il rajoute qu’il s’entend très bien avec les musulmans de sa circonscription. Pourquoi son nom était alors indiqué sur l’affiche ? A-t-il fait marche arrière, à la dernière minute, en prévoyant l’ampleur et la médiatisation de l’évènement ? Rappelons que quelques jours plu, antis tôt, Marine Le Pen avait créé la polémique en évoquant la période de « l’Occupation » à propos des prières des musulmans dans la rue… L’UMP avait fortement réagi contre ces provocations.

Les Assises avaient aussi annoncé la venue du maire de Montfermeil, Xavier-Lemoine, membre du parti chrétien-démocrate associé à l’UMP. Mais celui-ci à nié en bloc avoir eu un quelconque rapport avec cet évènement.

Etait bien présent, par contre, Oskar Freysinger, député suisse de l’UDC et chef de fil du « Non aux minarets ! ». C’est Freysinger qui a lancé avec succès le referendum interdisant la construction de minarets sur les mosquées en Suisse. Ici, Aux « Assises sur l’islamisation dans nos pays » , Oskar Freysinger est accueilli comme une star, un héros européen.  Il est vrai que son look de cow boy bronzé portant catogan et santiag, tranche avec les cranes rasés des fachos qu’on a l’habitude de voir. Mais qu’on ne s’y trompe pas, si l’habillage est renouvelé, le fond reste bien le même. Son parti d’extrême droite utilise des campagnes de publicité d’un goût particulièrement douteux. Leur visuel contre les minarets, par exemple, a été jugée « raciste », en 2009, par la mairie de Bâle-Ville, qui l’a interdit dans ses rues et ses espaces publics. De nombreux médias avaient également annoncé, à cette époque, refuser de publier des encarts publicitaires reprenant ce visuel. En France le FN avait tenté de reprendre le même concept avec une affiche qui a très vite été interdite sur le territoire national. Et ce n’est pas la première campagne de propagande de l’UDC qui a fait polémique

…En 2007, déjà, ce parti politique affichait sans complexe des moutons blancs excluant un mouton noir, avec écrit en gros « pour plus de sécurité ».

Vers 16h, les organisateurs, s’affolent. Des contre-manifestants s’approcheraient de l’Espace Charenton. La protection rapprochée se prépare, à l’entrée. Les esprits s’échauffent et le chef des « gros-bras » rappelle à l’ordre  ses hommes: « Attention, hein, pas de dérapage les gars! On reste professionnel. Pro-fes-sio-nel. » Finalement, les contre-manifestants n’arriveront jamais jusqu’à eux. Peut-être parce qu’ils n’ont pas réussi à passer au travers de l’important barrage-policier, que la Préfecture avait mis en place.

Publié le 15 janvier 2011 sur LaTéléLibre.fr par Margaux Duquesne et John Paul Lepers
http://latelelibre.fr/index.php/2011/01/quand-la-laicite-se-deguise-contre-lislam/ 

17/01/2011

VIDEO : Anciennes Amours - Leur ami Ben Ali

Alors que la Tunisie s’embrasait, avec des manifestations qui furent le prélude au départ du président Ben Ali, la ministre des affaires étrangères françaises, Michèle Alliot-Marie, proposait à la Tunisie “le savoir-faire, reconnu dans le monde entier, des forces de sécurité [françaises], afin de permettre de régler des situations sécuritaires de ce type”. “C’est la raison pour laquelle nous proposons effectivement aux deux pays [l’Algérie et la Tunisie] de permettre dans le cadre de nos coopérations d’agir pour que le droit de manifester puisse se faire en même temps que l’assurance de la sécurité.
Mme Alliot-Marie a été vertement critiquée pour ces propos, sur les réseaux sociaux d’une part, mais aussi par l’opposition. Pourtant, nombreux sont ceux qui, de droite comme de gauche, ont vanté, par le passé, les qualités du président déchu. Un groupe Facebook a été créé pour recenser photos, vidéos et déclarations dans ce sens … que leurs auteurs préfèreraient sans doute oublier à l’heure de la “révolution du jasmin”.
Florilège de ces déclarations ; certaines ont été glanées sur le “Ben Ali Wall of Shame” (le mur de la honte de Ben Ali).

  • Sarkozy, citoyen d’honneur de la ville de Tunis
En avril 2008, Nicolas Sarkozy effectuait une visite d’Etat en Tunisie, accueilli en grande pompe par le président Ben Ali. Alors qu’il recevait symboliquement les clés de la ville de Tunis, le président de la République française se disait très honoré par la distinction qu’il reçoit des mains du maire de la capitale tunisienne. M. Sarkozy axe une partie de son discours sur l’islam en Tunisie, tolérant et ouvert, “qu’on aimerait voir dans tant d’autres pays”. “Il m’arrive de penser que certains des observateurs sont bien sévères avec la Tunisie, qui développe sur tant de points l’ouverture et la tolérance. Qu’il y ait des progrès à faire, mon Dieu, j’en suis conscient pour la France… et certainement aussi pour la Tunisie”, conclut le chef de l’Etat, avant de vanter le dynamisme de l’économie tunisienne.
 
  • DSK et le modèle à suivre
Le directeur du Fonds monétaire international était en déplacement en 2008 en Tunisie. M. Strauss-Kahn vante les mérites de l’économie tunisienne, qui se porte bien malgré la crise. Cette relative prospérité est due à une “politique économique (…)  saine, [qui] constitue le meilleur modèle à suivre pour de nombreux pays émergents”.

  • Eric Raoult se réjouit de la réélection de Ben Ali
Membre du groupe d’amitié franco-tunisienne à l’Assemblée nationale, le député UMP du Raincy, Eric Raoult, est interrogé par Berbère TV sur la réélection de Ben Ali à la tête de la Tunisie en octobre 2009 avec près de 90 % des suffrages. “Incontestablement, en Tunisie, beaucoup de gens aiment le président Ben Ali”, tient-il à dire à ceux qui s’étonnent “en persiflant” du score de celui qui est président depuis 1987.
“Quand un certain nombre d’observateurs français font de la provocation à l’égard du président Ben Ali, il savent que quand ils arrivent à Tunis ils sont remis dans l’avion”, note le parlementaire, allusion à peine masquée à Florence Beaugé, journaliste au Monde, expulsée du pays. “On ne peut pas écrire dans son journal que la femme du président est une…, que le président est un…”, estime M. Raoult, qui propose un label “ami de la France” auquel aurait droit la Tunisie.
Enfin, le journaliste de Berbère TV demande à M. Raoult s’il est choqué par les entorses à la liberté d’expression en Tunisie : “Il y a une expression démocratique au Parlement français ou britannique qui sont de vieilles nations. La Tunisie a accédé à l’indépendance il y a cinquante ans. On ne crée pas une démocratie en quelques dizaines d’années.”
 
  • Frédéric Mitterrand ne veut pas donner de leçons
“Dire que la Tunisie est une dictature univoque me paraît tout à fait exagéré, estimait le 9 janvier 2011 le ministre de la culture sur Canal+, vantant notamment la condition de la femme en Tunisie.

  • Pour Rachida Dati, Ben Ali a protégé l’Europe de l’intégrisme
Alors que Ben Ali quittait la Tunisie, la députée européenne estimait, sur BFM TV, que l’on “ne pouvait pas se réjouir de la situation” en Tunisie. Pour Mme Dati, “Ben Ali a joué un grand rôle dans la coopération et la lutte contre le terrorisme. C’était aussi pour protéger les Européens”.

  • Chirac et le modèle tunisien
En 2003, le président de la République, Jacques Chirac, arrivait à Tunis accueilli par le président Ben Ali, à qui il donne une chaleureuse accolade. “Le premier des droits de l’homme est de manger, d’être soigné et de recevoir une éducation. De ce point de vue, il faut bien reconnaître que la Tunisie est très en avance”, déclarait M. Chirac.

Publié le 17 janvier 2011 sur BigBrowser

17/01/2011

VIDEO : A qui profite la cocaïne ?

"Cinq années d’enquête ont été nécessaires pour retrouver, dans sept pays (Colombie, Pérou, Bolivie, Panama, Etats-Unis, France, Israël) les acteurs officiels et souterrains qui ont assisté ou participé à la naissance des cartels de la cocaïne. Des intervenants de première ligne démontrent la responsabilité des pays qui se disent en guerre contre la drogue, dans la formidable expansion du trafic.

Depuis la chute du mur de Berlin, la cocaïne a remplacé le communisme. C’est au nom de la santé du monde que les États-Unis interviennent désormais en Amérique Latine pour continuer d’y protéger leurs intérêts économiques et stratégiques. Les pays producteurs se lassent de cette ingérence au nom de la drogue. Le protectionnisme de l’Europe et des États-Unis, ajouté aux politiques néo-libérales que leur impose le FMI, ont ruiné l’agriculture. La coca est le seul produit agricole qui leur permette de résister à la crise. Les bénéfices des exportations de cocaïne viennent à point pour rembourser leur dette au FMI et au club de Paris, qui par conséquent ferment les yeux."

Gilles DE MAISTRE Mylène SAULOY
Production : C.N.C., CAPA, FRANCE 2, PROCIREP, SHOOT AGAIN
Diffusion : France 2
1994

13/01/2011

Apologie pour l’insurrection algérienne (Jaime Semprun, 2001)

Quevedo a dit des Espagnols "Ils ne surent pas être des historiens, mais ils en méritèrent." Cela est resté vrai de leur révolution de 1936 l’histoire en a été écrite par d’autres. Il est trop tôt pour écrire l’histoire de l’insurrection qui a commencé au printemps 2001 en Algérie, mais il n’est pas trop tard pour la défendre ; c’est-à-dire pour s’attaquer à l’épaisse indifférence, bouffie d’inconscience historique, dont elle est en France l’objet.

Pour illustrer la grandeur et la portée de ce soulèvement, il suffira de relater les actes des insurgés et de citer leurs déclarations. Rapprochés selon leur signification la plus universelle et la plus vraie, les faits dessinent d’eux-mêmes un tableau dont se dégage une terrible moralité : la dignité, l’intelligence et le courage des insurgés algériens accablent l’abjection dans laquelle survivent les habitants des pays modernes, leur apathie, leurs mesquines inquiétudes et leurs sordides espérances.

C’est au cri de "Vous ne pouvez pas nous tuer, nous sommes déjà morts !" que pendant plusieurs semaines les jeunes émeutiers se sont battus contre les forces de police et la gendarmerie. Réduits l’état de morts-vivants par la société algérienne, ils savaient qu’il leur fallait la détruire pour commencer de vivre. ("Nous répondrons au néant par l’anéantissement de ses géniteurs", déclarait en juillet l’un d’eux.) à partir du 21 avril, principale ment en Kabylie, mais aussi à partir du 10 juin à Khenchela (dans les Aurès), du 11 à Skikda (au nord de Constantine) et du 16 dans tout l’est du pays (à Oum El Bouaghi, Batna, Tébessa, Biskra, El Tarf, etc.), ils ont dressé : des barricades, coupé des routes, pris d’assaut des gendarmeries et des commissariats ; ils ont attaqué un siège de préfecture (à Tébessa, alors que deux ministres se trouvaient à l’intérieur), incendié ou saccagé nombre de tribunaux (aux Ouacifs le palais de justice, tout juste terminé, a été réduit en cendres), des recettes des impôts, des postes et des locaux de sociétés publiques, des sièges de partis politiques (au moins trente-deux), des banques, des bureaux de la Sécurité sociale, des parcs communaux, etc. La liste est forcément incomplète, et serait-elle complète qu’elle ne donnerait encore qu’une faible idée de l’ampleur du mouvement. Mais on voit tout de même que les insurgés avaient entrepris de nettoyer le terrain de toutes les "expressions matérielles de l’état". (Il fallait la civique bêtise du Monde diplomatique pour blâmer suavement les émeutiers de parachever ainsi la dégradation du "service public" et se demander Si, ce faisant, "la foule des laissés-pour-compte" ne participait pas "à son propre affaiblissement".)

Quand les peuples reviennent de la soumission, rien n’est plus supporté de ce qui était jusque-là ordinaire. C’est, après tant d’autres assassinats commis impunément par les policiers et les militaires, celui d’un lycéen de Béni Douala, le 18 avril, qui a provoqué trois jours plus tard les premières émeutes. à Amizour, près de Béjaïa, la population se soulève le 22 après l’arrestation arbitraire de trois lycéens. à Khenchela, le 10 juin, un sous-officier qui parade au volant d’une "grosse cylindrée" interpelle de façon méprisante une jeune femme. Pris à partie par les jeunes du quartier accourus pour la défendre, il s’exclame : "Mais qu’est-ce qui vous prend aujourd’hui ?", et s’entend répondre : "Plus rien n’est pareil."

Il est rossé, son véhicule détruit. Une heure plus tard, il revient avec une trentaine de soldats en civil, armés de fusils d’assaut. Après une bataille rangée, les militaires doivent se replier, mais l’émeute gagne toute la ville : des barricades sont dressées, la mairie, le siège des impôts, celui de la Sonelgaz, la préfecture et deux "grandes surfaces" sont saccagés au cri de : "C’est ainsi que font les Chaouis !" La ville entière est dévastée.

Et quand l’ordinaire de l’oppression n’est plus supporté, c’est l’extraordinaire qui devient normal. Pendant ces semaines, ces mois, il ne s’est guère écoulé de jour sans que soit attaquée ou harcelée une brigade de gendarmerie ; et le plus souvent plusieurs. Les casernes ont été assiégées, un véritable blocus imposé aux gendarmes, les contraignant à des raids de pillage pour se ravitailler. Ceux qui acceptaient d’avoir avec eux la moindre relation, fût-elle simplement commerciale, ont été boycottés, mis en quarantaine et punis. Des hôtels ont ainsi été incendiés, de même que des villas, des cafés, des restaurants, des magasins, pris pour cible parce qu’ils appartenaient à des prévaricateurs ou affairistes divers. Si les destructions furent nombreuses, les pillages proprement dits semblent avoir été assez rares. Ainsi, par exemple, à Kherrata le 23 mai, les importants stocks de marchandises découverts au domicile d’un ex-officier de la gendarmerie furent immédiatement brûlés sur place. Chacun exprimant ses griefs, c’est à propos de logement, d’eau, de nuisances industrielles, d’accaparements de toutes sortes que les corrompus ont été systématiquement désignés à la vindicte publique et traités en canailles. Pour commencer à s’attaquer aux problèmes vitaux que pose à tous le délabrement du pays, il fallait bien sûr s’attaquer d’abord à ceux qui empêchent de les prendre en charge. La population réglant ainsi ses comptes avec les responsables qu’elle avait sous la main, ce furent surtout les maires qui en subirent les effets. Mais au-delà de ces escarmouches, c’était le projet d’une complète expropriation des expropriateurs qui prenait forme. Encore marquée par certaines ambiguïtés qui allaient bientôt être levées par la rupture avec les syndicalistes, une déclaration du comité populaire de la wilaya (préfecture) de Béjaïa affirmait le 7 juillet à l’adresse du pouvoir : "Vos gendarmes, symboles de la corruption, ne servent qu’à tuer, à réprimer et à trafiquer. C’est pour cela qu’ils doivent partir immédiatement. Quant à notre sécurité, nos valeureux comités de vigilance s’en occupent à merveille : ils sont notre fierté." Elle poursuivait en rappelant que les problèmes des citoyens "sont pris en charge par nos délégués de quartiers, de villages et des délégués syndicaux qui fonctionnent dans une assemblée appelée comité populaire. N’est-ce pas cela la démocratie directe ?"

L’insurrection, ou du moins son organisation la plus avancée, est restée principalement cantonnée à la Kabylie. Il faut cependant parler d’une insurrection algérienne, car les insurgés kabyles eux-mêmes n’ont eu de cesse de l’affirmer telle, de chercher à l’étendre et de refuser le déguisement berbériste que voulaient leur faire endosser leurs ennemis comme leurs faux amis.
Il est bien inutile de s’interroger, à la façon d’une "commission d’enquête" gouvernementale ou de journalistes en mal de déclamations moralisantes, sur la part qu’aurait eue dans le déclenchement des émeutes une activité provocatrice particulière de la gendarmerie ; comme si l’existence de l’état algérien et de sa répression sanglante n’était pas une provocation permanente ; et comme si la population avait besoin de justifications spéciales pour se soulever. Les insurgés ont repris le terme de hogra par lequel les Algériens désignent l’arbitraire du pouvoir, les privilèges et la corruption, le mépris dont ils sont l’objet. S’en prendre à la hogra, c’était en réalité s’en prendre à l’état lui-même. Que resterait-il d’un état sans privilèges ni corruption, auquel seraient interdits l’arbitraire et le mépris ? En Algérie presque rien, encore moins que partout ailleurs le seul service public qui ait jamais réellement marché dans ce pays ; depuis quarante ans, c’est la torture, complétée par l’assassinat politique. Tout en conspirant l’un contre l’autre pour s’approprier le pouvoir et la rente pétrolière à laquelle il donnait accès, les gangs étatiques n’ont à aucun moment cessé de conspirer ensemble contre le peuple. Comme le déclarait un de ces décideurs après la répression des émeutes d’octobre 1988 : "Pendant trente ans, nous avons pu nous déchirer ; nous mettre des couteaux dans le dos. Mais nous prenions soin de ne jamais abandonner un dirigeant exclu, ne serait-ce qu’en continuant à lui rendre visite. Car nous étions unis par une certitude : nos enfants devaient nous succéder. Nous savions que le jour où cette loi serait rompue, cela en serait fini pour nous tous, car la rue, elle, ne se contenterait pas d’une tête, mais les exigerait toutes." (Propos cités par José Garçon dans sa préface au livre de Djallal Malti, La Nouvelle Guerre d’Algérie, 1999.)

A travers tant d’épurations, de liquidations, de manipulations, tant de négociations "où chacun gardait sa mitraillette sous son paletot", d’exécutions discrètes et de tueries en masse, la véritable et unique continuité de l’état algérien (comme avant lui de l’appareil du F.L.N.) est toute policière. Dès 1956, c’est autour des services secrets du F.L.N. (embryon de la future Sécurité militaire) que s’organise la bureaucratie en formation ; c’est à eux que revient dans toutes les luttes de fractions le mot de la fin. L’assassinat d’Abbane Ramdane en décembre 1957 marque leur victoire définitive sur ceux qui, dans l’appareil, privilégiaient l’idéologie pour contrôler le mouvement des masses et justifier le futur système bureaucratique de parti unique. 

Désormais, dans ce mixte de terrorisme policier et de phraséologie "révolutionnaire", il y aura de moins en moins de celle-ci et de plus en plus de celui-là. L’assassinat devient la procédure courante de règlement des confits, non seulement contre le M.N.A. de Messali Hadj, mais à l’intérieur du F.L.N. lui-même. à partir de 1958 (promotion "Tapis rouge"), les agents des services sont formés dans les écoles du K.G.B. à Moscou. Boumedienne - qui, après avoir porté Ben Bella au pouvoir au moment de l’indépendance, se débarrassa en 1965 de cette couverture gauchisante ("l’aile protectrice du burnous du leader", selon ses propres termes) pour instaurer le règne sans partage de la bureaucratie et de son idéologie "arabo-islamique" - avait lui-même été l’adjoint de Boussouf, l’organisateur de la police intérieure du F.L.N. Et l’on sait que les généraux qui composent la coupole mafieuse du pouvoir en Algérie, pour la plupart "déserteurs de l’armée" (c’est-à-dire ralliés sur le tard à la lutte indépendantiste), sont eux aussi allés dans les années soixante à Moscou pour acquérir d’autres compétences (au K.G.B. ou à l’académie Frounzé) ; de cette double formation, par le colonialisme et le stalinisme, ils ont retenu leurs méthodes de pacification (dite cette fois éradication), dignes des pires exactions de l’armée française, et leurs techniques de manipulation et de provocation. Tout cela est bien connu en Algérie, mais en France pas assez, car l’état algérien y compte toutes sortes de "relais" et de complices, en particulier dans les médias, où ils n’ont peut-être même pas tous besoin d’être stipendiés pour faire sa propagande : la fausse conscience de gauche et le "complexe du colonisateur" peuvent sans doute parfois y suffire, même si les services algériens arrosent largement, et pas seulement des partis politiques.

Au plus fort des émeutes en Kabylie, on nous a ainsi informés à la "une" du Monde, en fabriquant un scoop bien horrifique avec l’aide d’un tortionnaire à demi gâteux en mal de publicité, que l’armée française avait, plus de quarante ans auparavant, torturé et massacré. De même, quand vient le moment, si tard là encore, d’évoquer l’assassinat de centaines d’Algériens par la police parisienne en octobre 1961, on se garde généralement de trop insister sur la responsabilité du F.L.N., qui fit défiler (sous la contrainte s’il le fallait) les travailleurs immigrés avec femmes et enfants, les envoyant ainsi défier le couvre-feu en leur interdisant de s’armer ou d’organiser une autodéfense quelconque, alors même que l’hystérie raciste de la police parisienne avait été portée à son comble, avec la peur, par les attentats commis contre des policiers au cours des mois précédents ; et tout cela, dans la meilleure tradition bureaucratique, pour "ne pas relâcher [la] pression" (Ben Khedda) sur le gouvernement français, pendant les négociations qui préparaient le cessez-le-feu.

Pour les bureaucrates qui les glorifiaient cyniquement dans leurs slogans ("un seul héros, le peuple"), les masses algériennes n’ont donc jamais été qu’un matériel humain disponible à leurs opérations et à leurs manœuvres, chair à canons ou à matraques, que l’on envoyait se faire massacrer par les Français, et qu’ensuite on a massacré directement. La détermination intacte des émeutiers, alors que les morts dans leurs rangs se comptaient déjà par dizaines, témoigne suffisamment de la haine accumulée au fil des ans en Algérie (et particulièrement en Kabylie) contre l’appareil répressif de l’état. "Pas de pardon, jamais !" a été le slogan le plus populaire. La plate-forme de revendications adoptée à El-Kseur le 11 juin par la coordination interwilayas exigeait "le départ immédiat des brigades de gendarmerie" de Kabylie. Pour Le Monde diplomatique, c’était même la seule chose que les révoltés revendiquaient "avec clarté".

Mais eût elle été la seule qu’elle n’en aurait pas moins constitué une sorte de programme pour une révolution algérienne. Une telle exigence, complétée par celle de "mise sous l’autorité effective des instances démocratiquement élues de toutes les fonctions exécutives de l’état ainsi que des corps de sécurité", revenait en effet à donner pour but au mouvement le démantèlement des "détachements spéciaux d’hommes armés" qui sont la principale "expression matérielle" de tout état, et en Algérie à peu près la seule qui fonctionne. Procéder effectivement à ce démantèlement, organiser la reprise du pouvoir d’état par la société, par les masses populaires "qui substituent leur propre force à la force organisée pour les opprimer" (Marx à propos de la Commune), fût-ce seulement sur une fraction du territoire, cela ne peut évidemment être accompli sans une révolution de toute la vie sociale. Et c’est ce à quoi tendaient les actions des insurgés, quand ils assiégeaient les gendarmes, les isolaient et les mettaient en quarantaine, les séparant de la société pour que la société se sépare d’eux. Voilà bien le séparatisme dont la Kabylie a donné l’exemple à toute l’Algérie.

La seule existence d’un tel mouvement est en elle-même le démenti de la totalité des mensonges politiques qui empuantissent l’Algérie depuis tant d’années. La subversion réelle a commencé à dissiper la brume poisseuse des fictions policières et à remettre chacun à sa place : "Nous refusons de nous solidariser avec ceux qui détruisent les biens de l’état", déclarait ainsi le 9 juillet un représentant du F.L.S. Au Portugal en 1974, on disait : "La vérité est comme l’huile." En Kabylie aujourd’hui, on dit : "La vérité est comme un bouchon de liège." Antithèse directe de tout mensonge d’état, l’insurrection ne s’est pas contentée de réclamer la vérité (les commissions d’enquête gouvernementales avaient vu leurs conclusions dénoncées par avance, et leur dissolution était une des revendications de la plate-forme d’EI-Kseur), elle l’a imposée chaque fois que cela était possible par la dénonciation à chaud de l’imposture. A cet égard, un des plus beaux moments, dans un mouvement où il y en eut tant, fut la manifestation des femmes, à Tizi-Ouzou le 24 mai. Les manifestantes commencèrent par interdire à la très officielle "association des veuves et filles de martyrs de la guerre d’indépendance" de se joindre à leur cortège, puis elles en expulsèrent en l’insultant Khalida Messaoudi, conseillère et selon ses propres termes "compagne dans le militantisme" de Bouteflika, qui, tout juste sortie du R.C.D., prétendait venir là se refaire une virginité : "Alors qu’elle voulait se glisser dans le cortège, des huées se sont élevées. "Khalida dehors", criaient les unes. "Khalida Lewinski", hurlaient les autres. Elle a été évacuée d’extrême justesse vers Alger." (Libération 26-27 mai 2001.) Enfin, après avoir ainsi manifesté leur mépris pour le pouvoir et pour ses supplétifs médiatiques-démocratiques, elles ne l’épargnèrent pas aux berbéristes, et interdirent également à des partisans de l’autonomie de la Kabylie de rejoindre la marche.

Le rejet de toutes les représentations politiques a été l’une des constantes de l’insurrection, et l’un de ses aspects les plus calomniés Les locaux des deux partis (R.C.D. et F.F.S.) qui auraient pu nourrir quelque espoir de tirer profit d’un tel mouvement ont flambé parmi les premiers : Tizi-Rached, en même temps que la banque, le siège de la Sécurité sociale et la recette des impôts, dès le 26 avril. Et même lors de la manifestation du 25 juin à Tizi-Ouzou, à l’occasion du troisième anniversaire de l’assassinat du chanteur Lounès Matoub, on entendit parmi les slogans, outre "un Kabyle est un Kabyle, ses ennemis sont les gendarmes", "pas de F.F.S., pas de R.C.D.". Le plus discrédité était assurément le R.G.D., dont la démission fin avril du gouvernement (dans lequel son entrée en décembre 1999 avait été qualifiée par son chef Sadi d’"événement politique qui constitue à la fois une consécration et un bouleversement") ne pouvait faire oublier la collaboration de longue date avec le clan militaire des "éradicateurs". 

Quant au F.F.S., moins compromis avec le pouvoir, il fit en sorte de désabuser quiconque à son sujet en présentant le 12 mai à Bouteflika, au chef d’état-major de l’armée et au patron de la D.R.S (ex-Sécurité militaire) un "mémorandum" qui consistait essentiellement à leur proposer ses services pour organiser une "transition démocratique".

II

Le trait le plus remarquable de l’insurrection algérienne est sans conteste son auto-organisation. L’hostilité aux partis politiques et à "toute proximité avec le pouvoir", la méfiance devant toute représentation incontrôlée, le refus de servir une fois encore de piétaille à des manœuvres d’appareil, tout cela a trouvé son accomplissement positif dans la généralisation et la coordination des assemblées de villages et de quartiers, vite reconnues par tous comme la seule expression authentique du mouvement. Dès le 20 avril, les délégués des quarante-trois villages de la daïra (sous-préfecture) de Béni Douala s’organisent en coordination et lancent le mot d’ordre de grève générale. Dans les jours qui suivent, des comités de villages et des coordinations se forment dans toute la wilaya de Tizi-Ouzou. Le 4 mai, à Tizi-Ouzou même, des affiches appellent à une grève générale de six jours ; elles émanent d’une coordination provisoire des quartiers, "selon nos sources totalement inconnue à Tizi-Ouzou", écrit le 5 mai le journal Liberté, qui fait état le lendemain des inquiétudes que suscitent ces formes d’auto-organisation dans les "états-majors des partis". Le 6 mai est annoncée pour le 10 une réunion à Béni Douala des délégués d’assemblées de villages des wilayas de Tizj-Ouzou, Béjala et Bouira, en vue de créer une coordination pour toute la Kabylie et d’adopter une plate-forme de revendications ; un délégué déclare : "Les partis, personne n’y croit plus ici." (Liberté du 7 mai.) Cette réunion à Béni Douala se tient effectivement à la date prévue, mais ne rassemble finalement que les délégués (deux cents) d’une grande partie des villages de la wilaya de Tizi-Ouzou : les journalistes sont pris à partie, la presse ayant diffusé un faux communiqué annonçant le report de la réunion (ce n’est que le début d’une campagne de désinformation et de calomnies qui ira s’amplifiant) ; par ailleurs, un maire qui prétend rappeler la réunion au respect de la légalité doit quitter la salle : "On n’a pas besoin de maire ici ou d’un quelconque représentant de l’Etat", déclare un délégué. (Huit jours plus tard à Illoula, un autre maire devra également, quoique délégué de son village, quitter la salle de réunion.) Le souci de l’autonomie du mouvement et la volonté de contrôler étroitement ses représentants marquent toutes les décisions ; ainsi, par exemple, celle de créer une permanence à TiziOuzou pour diffuser les informations en vue de la prochaine réunion de délégués : l’assemblée prend soin de lui interdire de s’exprimer au nom du mouvement (pas de déclaration à la presse, etc.).

Il est impossible de reconstituer dans le détail la façon dont le mouvement des assemblées s’est étendu à toute la Kabylie, puis au-delà ; ne serait-ce que parce que la presse algérienne dite indépendante (pour ne rien dire de la France), tout en faisant une large place à ce qui pouvait illustrer l’urgence d’une modernisation "démocratique", n’a que très partiellement fait état de l’activité et des déclarations des assemblées, quand elle ne les a pas calomniées. On peut toutefois indiquer les principales avancées de l’auto-organisation, qui progresse au même pas que l’émeute à travers le pays. Le 18mai à Illoula, une réunion des délégués de villages de la région de Tiu-Ouzou adopte une première plate-forme de revendications (parmi lesquelles le départ immédiat et sans conditions de toutes les brigades de gendarmerie) et appelle à une marche à Tizi-Ouzou. Celle-ci rassemble le 21 mai plusieurs centaines de milliers de manifestants ("La "marche noire" a été le fait de la coordination des comités de villages, et les partis politiques n’y avaient aucune présence visible", notait Le Monde du 23 mai). Les réunions de délégués qui se succèdent ensuite aboutissent à la formation d’une coordination interwilayas (Tizi-Ouzou, Béjaïa, Bouira, Sétif, Boumerdès, Bordj-Bou-Arreridj, Alger ainsi que le Comité collectif des universités d’Alger) et à l’adoption, le il juin à El-Kseur ; d’une plate-forme commune de revendications. La marche sur Alger, le 14 juin, constitue le point culminant de cette première phase du mouvement.

Cette marche du 14 juin signifiait de fait, quoique ses organisateurs ne semblent pas en avoir eu clairement conscience, tenter d’installer la subversion à Alger même et défier l’état chez lui : cela équivalait à une tentative insurrectionnelle, au sens étroit et pour ainsi dire technique du terme. En effet, aller déposer à la Présidence la plate-forme d’EI-Kseur (puisque tel était l’objectif affirmé), alors que les manifestants dans les rues d’Alger se comptaient par centaines de milliers, sinon par millions, c’était parler à l’état de puissance à puissance, et proclamer devant le peuple algérien que l’heure avait sonné de régler tous les comptes de l’oppression subie depuis 1962.

Il aurait alors suffi que les troubles durent à Alger un jour de plus pour que dans le pays entier la population, voyant le pouvoir vaciller, se jette dans la bataille. De son côté, celui-ci voyait clairement qu’il lui fallait à tout prix empêcher que la subversion s’installe à Alger, et quelle que fût par ailleurs sa paralysie, il conservait des forces bien suffisantes pour écarter ce danger, étant donné la supériorité que lui conférait sa position défensive : il a donc efficacement mis en oeuvre tous ses moyens répressifs, fractionnant le cortège des manifestants venus de Kabylie, bloquant la plupart d’entre eux à dix kilomètres du centre ville, isolant les groupes d’émeutiers et lançant contre les manifestants des provocateurs recrutés dans la basse pègre. Parmi les facteurs favorables au pouvoir, il faut aussi compter la démoralisation et la peur dont les habitants d’Alger, qui ont payé le plus lourd tribut à la "sale guerre", avaient seulement commencé à se défaire grâce à l’agitation entretenue par les étudiants depuis le début du mois de mai ; et lors de la manifestation appelée par le F.F.S. le 31, qui avait permis une première jonction avec les insurgés de Kabylie. Les propos d’Algérois rapportés par la presse exprimaient assez bien ce qu’il en était à ce moment, alors que depuis une semaine des manifestations spontanées se formaient chaque jour à Alger (mais aussi à Oran, Sétif, Boumerdès), rassemblant quelques centaines ou milliers de personnes :

"On crie "pouvoir assassin". On prend des coups. Puis on rentre cher soi et on regarde aux télévisions françaises les vraies émeutes en Kabyle, à une heure d’ici à peine. Mais aujourd’hui on saura mieux où on en est : si nous aussi on entre dans la guerre ou si on reste dehors."

"On sortait à peine des quartiers à cause des, attentats, des policiers, des terroristes, de tout. Là, je me dis : c’est notre tour, il faut y aller. Mais je suis très désorienté."

"Qui en Algérie ne ressent pas l’injustice et le ras-le-bol ? Qui ne veut pas en finir ? Mais Alger n’est pas la Kabylie. Là-bas c’est très dur, mais ils se connaissent tous, ils sont tous ensemble, avec une culture, des structures fortes qui ont résisté malgré la guerre. Nous ici, on a pour toute éducation, politique les feuilletons égyptiens. Après des années d’intox, de bulletins du G.I.A. qui ressemblaient à de la science-fiction, on a de la bouillie dans la tête. Dans une grande ville, il peut se passer n’importe quelle provocation ou coup tordu." (Libération, 31 mai 2001)

"Ils ont de la chance. En Kabylie, ils ne sont jamais seuls. Ils ont toute leur culture, leurs structures. Nous, on vit au milieu des indics et des posters de Rambo." (Libération, 1er juin 2001)

Le coup d’arrêt donné par le pouvoir le 14 juin marquait la limite qui s’est depuis lors imposée au soulèvement. Les deux tentatives avortées de nouvelles marches sur Alger (le 5 juillet et le 8 août) montrèrent que l’occasion de lancer ainsi le signal d’un soulèvement général était bel et bien passée, pour une période au moins. Pour garder ses chances de s’étendre au reste de l’Algérie, le mouvement devait surtout reprendre l’initiative en Kabylie, et pour cela renforcer son autonomie : après le premier élan offensif, venait le moment de l’élaboration interne. Ayant changé tant de choses autour de lui, le mouvement des assemblées ne pouvait pas ne pas en être lui-même changé. Tout au long des mois de juillet et d’août, la nécessité s’impose aux assemblées de réfléchir à leur propre organisation, d’en préciser les buts et les moyens. La coordination des aarchs, daïras et communes de la wilaya de Tizj-Oroou réaffirme, lors de ses "conclaves" d’Azeffoun (7 juillet) et d’Assi-Youssef (12-13 juillet), les principes démocratiques qui fondent l’organisation des coordinations : liberté des débats à la base, élection des délégués en assemblée générale des villages et des quartiers, autonomie d’organisation et d’action des coordinations communales composées de ces délégués, coordination de wilaya composée de deux délégués par coordination communale dûment mandatés, etc. ; tout cela devant assurer, selon le "principe de l’horizontalité", le strict contrôle des décisions par la base des assemblées. A travers les débats et les conflits, toujours publics, qui se développent au cours de ces semaines, une ligne de partage se dessine entre ceux qui veulent aller à la négociation et transformer pour ce faire les coordinations en "interlocuteur responsable", et ceux qui défendent l’autonomie des assemblées, l’organisation "horizontale" et le refus de toute négociation. A Béjaïa, le conflit devient si aigu qu’il aboutit le 17 juillet à une scission entre le comité noyauté par les syndicalistes et les gauchistes (qui conserve le nom de "comité populaire") et une coordination intercommunale qui dénonce cette tentative de "caporalisation" du mouvement et l’abandon des objectifs initiaux. Cette coordination appelle avec succès à une grève générale et à une marche le 26 juillet ; la rue tranche, et l’un des slogans de la manifestation est : "Traîtres dehors ! Syndicats dehors !" Quant à la coordination de la wilaya de Tizi-Ouzou, elle adopte à la mi-juillet un "code d’honneur" des délégués par lequel ceux-ci s’engagent, entre autres, "à ne mener aucune activité et action qui visent à nouer des liens directs ou indirects avec le pouvoir", "à ne pas utiliser le mouvement à des fins partisanes et ne pas l’entraîner dans des compétitions électoralistes ou dans des options de prise du pouvoir", "à ne pas accepter un poste politique quelconque dans les institutions du pouvoir", et "à ne pas donner au mouvement une dimension régionaliste sous quelque forme que ce soit" ; ce code d’honneur est complété le 27 juillet par un engagement "à démissionner publiquement du mouvement avant de briguer un quelconque mandat électoral".

Parmi les exemples d’énergie historique que nous a donnés le soulèvement algérien, aucun ne prouve mieux sa puissance que celui de ses dissensions, qui auraient suffi pour anéantir n’importe quelle organisation hiérarchisée ou mouvement de masse encadré, tandis qu’il parut toujours y puiser de nouvelles forces. Les ennemis des coordinations ne cessèrent d’annoncer leur dislocation prochaine sous l’effet des discussions et des divergences (le journal Liberté avait donné le ton dès le 10 mai en ironisant lourdement sur l’impréparation de la réunion de Béni Douala : "Ce conclave qui alimente les discussions dans toute la Kabylie et qui suscite les appréhensions voire les craintes des partis politiques de la région, et même des simples citoyens, sur ses motivations mais surtout sur les visées de ses initiateurs, a tout l’air de ne s’avérer qu’une montagne qui accoucherait d’une souris"). Et chaque fois les assemblées, discutant sans cesse leurs décisions et revenant sur ce qu’elles avaient déjà accompli, démentirent les espoirs des propriétaires de l’opposition et se dressèrent à nouveau devant le pouvoir algérien comme son seul véritable ennemi. A la fin du mois de juillet, l’idée ayant été lancée par la coordination de Béjaïa dès le 19, la coordination interwilayas proposa d’organiser le 20 août une marche à Ifri Ouzellaguen, où s’était tenu à la même date, en 1956, le congrès de la Soummam au cours duquel Abbane Ramdane, avant d’être assassiné, s’était opposé à la mainmise de "l’armée de l’extérieur" sur le F.L.N, Ce retour sur le passé n’était pas platement commémoratif ; comme le résuma le 14 août lors d’un meeting à El-Kseur un délégué d’Akfadou (après avoir rappelé qu’avait été décidée à ce congrès la primauté du civil sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur) : "Nous sommes des civils, ils sont des militaires et nous sommes à l’intérieur, ils sont à l’extérieur". Les slogans adoptés pour cette marche ("1956-2001, le combat continue", "Restituer au peuple son histoire", "Pour la primauté du politique sur le militaire") prirent tout leur sens avec la décision d’"interdire aux officiels" la vallée de la Soummam. Car ceux-ci ne comptaient pas seulement y tenir l’habituelle célébration annuelle, qu’ils durent finalement organiser à l’autre bout du pays, à Mascara : des émissaires avaient commencé à sonder quelques délégués non identifiés de la coordination interwilayas, acquis à l’idée d’une négociation, pour préparer une éventuelle venue de Bouteflika, à qui aurait été remise la plate-forme d’El-Kseur. Cette manœuvre, immédiatement dénoncée par la majorité des délégués, eut un effet inverse de celui escompté et renforça la détermination à "interdire tout officiel en Kabylie". (Le ministre des Moudjahidin dut également renoncer à se rendre à Tizi-Ouzou ; quelques jours auparavant, le ministre de l’Intérieur Zerbouni, venu installer le nouveau wali - préfet - avait été accueilli à coups de pierres : "Marches interdites à Alger : pas de ministres en Kabylie", disait une banderole.) La marche du 20 août, qui rassembla dans la vallée des foules venues de toute la Kabylie, fut donc une éclatante revanche sur la défaite essuyée à Alger. Mais s’étant ainsi montrés maîtres chez eux, ayant, cette fois, l’avantage de la défensive, les Kabyles se retrouvaient par la même occasion isolés chez eux, progressivement amenés à une sécession de fait qu’ils n’avaient pas voulue.

Pour l’heure, après le coup d’éclat du 20 août, ses ennemis divers se voyaient contraints d’admettre que le mouvement des assemblées en Kabylie n’était pas sur le déclin, mais au contraire se renforçait. Le pouvoir lui-même, malgré l’échec de ses toutes récentes manœuvres d’approche, fit savoir le 29 août par le truchement de l’agence de presse officielle A.P.S., citant une "source gouvernementale", que "le dialogue [était] possible", que "nul ne [contestait] les capacités des Algériens de le mener", et que "le mouvement des citoyens exprimé par les aarchs [pouvait] constituer un signe positif pour notre société". L’agence officielle explicitait les termes de l’ouverture ainsi faite en précisant : "Il est évident que les plates-formes publiées dans la presse peuvent constituer une base de discussion dans la mesure où elles ne se proposent pas de porter atteinte aux fondements de l’état, à la constitution et aux lois de la République." (Ces restrictions visaient bien sûr principalement le quatrième point de la plate-forme d’El-Kseur, exigeant le départ immédiat des brigades de gendarmerie, et le onzième, concernant "la mise sous l’autorité effective des instances démocratiquement élues de toutes les fonctions exécutives de l’état ainsi que des corps de sécurité" ; l’abandon de ces points avait déjà fait l’objet des négociations occultes entamées précédemment avec certains délégués "dialoguistes".) Et le commentaire de l’A.P.S. en rajoutait pour finir dans les appels du pied aux modérés, qualifiant la réunion de la coordination intenwilayas qui devait se tenir le lendemain à Tubirrett-Imceddalen de très importante, dans la mesure où elle "pourrait être l’illustration de la maturité du mouvement et celle de l’élite qui l’encadre" bref pourrait "s’inscrire dans une perspective constructive" en acceptant la négociation. La réponse à ces insistantes avances ne se fit pas attendre. Dès le lendemain, les coordinations de Tid-Ouzou et de Béjaïa réaffirmaient leur rejet des tractations secrètes et de toute négociation visant à modérer les revendications de la plate-forme d’El-Kseur : "Tout ce qui sera entrepris se fera en public, et le chemin est balisé par la plate-forme d’El-Kseur, notre unique document de référence", déclarait un délégué de Tizi-Ouzou (Le Matin, 1er septembre 2001). Quant à la réunion de la coordination interwilayas des 30 et 31 août, où le pouvoir espérait voir apparaître une élite avec laquelle il pourrait "dialoguer" elle déclara à nouveau la plate-forme d’EI-Kseur "scellée" et "non négociable". Il ne restait plus au pouvoir qu’à enregistrer cette fin de non-recevoir. C’est ce qu’il fit quelques jours plus tard, par la bouche d’un "haut responsable" anonymement cité par Le Quotidien d’Oran. Constatant que les aarchs "refusent tout ce qui vient du "pouvoir"" ("Comment voulez-vous qu’on puisse dialoguer avec eux ?"), la source autorisée poursuivait : "Nous pouvons comprendre ainsi que les aarchs ne veulent pas de solution à cette crise. Ils pensent peut-être que, pour détruire ce système, il faut entretenir le pourrissement ; c’est d’ailleurs ce qui ressort de la plate-forme d’EI-Kseur." Ensuite venaient les menaces, avec la remarque cynique qu’entretenir le pourrissement ne peut nuire au gouvernement, "qui a des capacités de durer tout autant que le système en place" : ce n’est donc pas lui "qui en pâtit, c’est la population". Et la fin rappelait qu’un appel avait été "lancé à l’élite de la région à se mobiliser ainsi qu’à toutes les personnes qui ont une respectabilité, mais on remarque qu’il n’y a pas une volonté de présenter un programme mais de perturber". (Il est évidemment loisible à chacun de se livrer à toutes sortes de supputations quant aux éventuelles "luttes de clans" à l’intérieur du pouvoir que manifesteraient ces variations du discours officiel, ou officieux, sur le mouvement des assemblées : à la manière de la kremlinologie d’autrefois, c’est devenu une spécialisation professionnelle, dans l’information sur l’Algérie, que de fournir de telles reconstitutions, plus ou moins étayées, des menées et intrigues qui divisent le "pouvoir occulte". Mais désormais ces luttes internes sont secondaires, car le rapport de forces principal, qui détermine tout le reste, est celui qui oppose le mouvement d’auto-organisation du soulèvement à l’ensemble de ses ennemis.)

Parallèlement aux efforts pour circonvenir le mouvement des assemblées, et puisqu’il s’avérait qu’il n’était décidément pas "mûr" pour la négociation, on a vu se développer la tentative de le liquider en en créant de toutes pièces un autre, qui serait, et pour cause, plus "représentatif", plus "légitime" et plus "constructif". Ainsi, à Tizi-Ouzou même, le 27 août - alors que précisément la veille les délégués "radicaux" de la coordination, qui (selon El Watan du 28 août) déclaraient "la rue parlera encore jusqu’à la satisfaction de la plate-forme d’El-Kseur" et dénonçaient "ceux qui ne veulent plus parler d’émeutes et tendent la main au pouvoir", avaient joint le geste à la parole et une nouvelle fois attaqué, avec "des émeutiers de la ville", la gendarmerie -, un "Conseil communal" publiait un communiqué affirmant notamment que "l’amateurisme politique des uns et les mauvais calculs politiciens des autres continuent à parasiter bruyamment le débat public, tout en empêchant les honnêtes citoyens, soucieux de l’avenir. de leurs enfants, de faire entendre leur voix" (Liberté, 28 août 2001). Quelques jours plus tard, il précisait encore un peu mieux à quoi et surtout qui il servait, en reprochant à la coordination "l’exclusion de toutes les personnalités scientifiques et politiques de la commune susceptibles de donner sens et consistance au mouvement" (La Tribune, 4 septembre 2001).
Un peu partout apparaissent au même moment des "comités" et des "coordinations" ad hoc, dont l’activité se borne le plus souvent à attaquer dans des communiqués de presse la tendance radicale des coordinations. à Akbou par exemple, un "comité de citoyens" prône "l’apaisement et la préservation de la jeunesse de la spirale de la violence", et rappelle les revendications du mouvement en omettant "le point relatif aux brigades de la gendarmerie nationale" (La Tribune, 8 septembre 2001). Quant au "comité populaire" de Béjaïa, confirmant sa vocation récupératrice, il annonce la préparation d’une rencontre nationale contre la hogra et la répression, organisée avec le R.A.J. ("Rassemblement-Action-Jeunesse", proche du F.F.S.) :

"Cette initiative se veut une opportunité pour asseoir l’organisation nationale du mouvement populaire et l’encadrement de ces actions pour davantage d’efficacité." (La Tribune, 9 septembre 2001.) Toutes ces manœuvres et impostures sont dénoncées par la coordination interwilayas, dont les délégués, lors d’un meeting à Akbou, relèvent que ces "comités parallèles [...] entretiennent des contacts avec le pouvoir en prétendant être les interlocuteurs de ce dernier". Mais, comme il arrive souvent, c’est encore a un ennemi qu’il revenait de dire le plus clairement de quoi il retournait. Revenant pour s’en justifier, sans pour autant la démentir, sur la formule qui lui avait été prêtée ("ce mouvement doit mourir avant septembre"), ainsi que sur l’imputation faite au F.F.S. de chercher à venir à bout du mouvement des assemblées en le minant de l’intérieur, le premier secrétaire de ce parti, Ali Kerboua, mangeait le morceau dans son style incomparablement ligneux :

"1. - Le F.F.S. a, été le premier parti, à s’inscrire totalement dans la dynamique nationale citoyenne travers l’organisation des marches historiques du 3 et du 31 mai.
2. - Le F.F.S. a toujours pris soin de distinguer cette dissidence nationale citoyenne des formes, de structures qui s’y sont greffées artificiellement et dans lesquelles certains groupes et autres individus tentent de se re, faire une virginité en cherchant, en, vain, faut-il le souligner, à dévoyer cette dynamique et à l’instrumentaliser à des fins de repositionnement clanique.
3. - Le F.F.S. a effectivement instruit ses militants pour consolider ce mouvement pacifique porteur d’espoirs de changement démocratique pour l’ensemble des Algériennes et des Algériens. Aussi, les militants du F.F.S. restent déterminés à agir contre toutes les formes de dérive qui mèneraient le mouvement vers l’impasse et la ghettoïsation dans le but d’imposer des projets dangereux. Des projets qui, en définitive, font le jeu des clans au pouvoir opposes à toute issue politique et démocratique à la crise." (Liberté, 2 septembre 2001.)
Le plus "dangereux" projet des assemblées, qui les amène à concevoir tous les autres, c’est celui de leur propre souveraineté. La volonté d’étroitement contrôler toute délégation de pouvoir les a déjà menées loin, mais elle peut les mener plus loin encore : ayant remis en vigueur les assemblées villageoises à seule fin de s’unir contre la répression, les insurgés découvrent de quelles autres fins elles peuvent être l’instrument.
Le grand art de ces retours au passé qu’effectuent les révolutions quand elles ressuscitent des formes anciennes de communauté, c’est de retrouver plus que ce qui a été perdu. La principale malédiction qui frappait la démocratie villageoise, c’était évidemment son isolement, qui lui interdisait toute initiative historique. Et c’est justement ce qui disparaît au milieu de la commotion générale de la société algérienne.

III

Que sont exactement ces institutions villageoises traditionnelles que le soulèvement a ramenées sur le devant de la scène historique, fait ainsi qu’aarch cesse d’être le nom d’une chose du passé ? Avant d’en venir à bout avec la répression de la grande insurrection de 1871, les militaires français avaient éprouvé sur le terrain les ressources et la force de l’organisation locale des tribus kabyles, la vitalité de ce qu’un historien de la colonisation (Ch.-A. Julien) a appelé, en mentionnant leur refus de se soumettre au commandement d’Abd el-Kader, les "petites républiques villageoises et démocratiques de Kabylie". Et dès 1837, Tocqueville parlait à propos des Kabyles de ces "hommes qui ne sont ni riches, ni pauvres, ni serviteurs, ni maîtres, qui nomment eux-mêmes leurs chefs et s’aperçoivent à peine qu’ils ont des chefs". Le thème de l’insubordination kabyle court à travers toute la littérature du XlXe siècle consacrée à l’Algérie, et pas seulement chez les auteurs français : "Le Kabyle est si fier, si instinctivement enclin à l’égalité absolue, et peut-être aussi si sourcilleusement méfiant, qu’il considère comme son devoir, pour ainsi dire, de récuser tous les dépositaires du pouvoir social. Les marabouts, qui en détiennent la plus grande part, l’exercent avec discrétion, en recourant à la persuasion. Quant aux amins [chefs de village élus par l’assemblée], le moindre abus d’autorité de leur part donne lieu à un refus d’obéissance, qui s’exprime de la façon la plus énergique : Enta cheikh, ana cheikh, littéralement : "Toi chef, moi chef"." (John Reynell Morell, Algeria, 1854.) De leur côté les auteurs français, souvent des militaires, avaient de multiples raisons de magnifier la tradition d’indépendance des Kabyles : la résistance que ceux-ci leur avaient opposée et leur difficulté à la réduire (le massif central de la Grande Kabylie ne fut soumis qu’en 1857) appelaient une explication propre à ménager l’orgueil national ; il paraissait évidemment utile de jouer les Kabyles contre les Arabes ; et surtout les mœurs et le "civisme" villageois des Kabyles permettaient d’espérer qu’ils seraient plus faciles à gagner à la cause de la France et pourraient même devenir, une fois convenablement civilisés, des administrés modèles. Une vaste littérature oppose ainsi les vertus du Kabyle (fier, droit, opiniâtre, industrieux, peu religieux, etc.) aux vices de l’Arabe (servile, fourbe, menteur, paresseux, fanatique, etc.), au point qu’on a pu parler d’un "mythe kabyle" dans le colonialisme français. Mais ce "mythe kabyle" (dans la genèse duquel il faut d’ailleurs faire la part du goût réel qu’éprouvèrent nombre de coloniaux pour les mœurs des Berbères, assurément remarquables et digues de respect), les administrateurs français, militaires puis civils, en furent, au moins autant que les artisans, les premières victimes, puisqu’ils crurent possible et même facile d’utiliser les institutions villageoises comme relais, de leur autorité, et s’obstinèrent longtemps à le croire, quoique régulièrement démentis par les troubles toujours renaissants. (Après la répression de l’insurrection de 1871, les villageois constituèrent pour donner le change aux administrateurs militaires des assemblées officielles, aux ordres de l’assemblée réelle, occulte, "qui continuait, dans l’ombre, à diriger les affaires du village et à souffler aux membres de l’assemblée fantoche la conduite à tenir" - Alain Mahé, Histoire de la Grande Kabylie, 2001.)

Les calomnies contre les actuelles assemblées s’appuient en grande partie sur le fait qu’en Grande Kabylie (principalement dans la wilaya de Tizi-Ouzou) elles ont repris pour désigner leur fédération le nom ancien des tribus (aarch, parfois au pluriel aarouch) qui constituaient autrefois la plus vaste unité politique des Kabyles, en dehors des ligues circonstancielles formées contre un danger commun : "Considérée dans son ensemble, la Kabylie est une agglomération de tribus qui se gouvernent elles-mêmes d’après des principes que la tradition et l’usage ont introduits dans les mœurs", écrivait le général Daumas en 1856. Les journalistes se sont donc emparés de ce terme l’utilisant à tout bout de champ pour donner du mouvement des assemblées une image pittoresque, quasi folklorique, en tout cas passéiste ; et décrier ensuite cette "structure sociale complètement résiduelle" (ironisant par exemple sur le fait que la dernière initiative des aarchs de Kabylie remontait à 1827, lorsqu’une délégation de tribus formula une requête auprès du dey d’Alger pour que les femmes n’aient plus accès aux droits de succession). Cela leur était d’autant plus facile que dans le reste du pays, là où elle a encore une existence quelconque, l’organisation tribale n’est plus qu’une forme de clientélisme politique et de participation aux luttes de clans à l’intérieur de la bureaucratie. Malgré toutes ces calomnies, ou grâce à elles, le terme aarchs est passé dans l’usage pour désigner l’organisation autonome de l’insurrection, avec une connotation d’archaïsme propre à affermir les progressistes bon teint dans leur mépris pour ce mouvement. (Ainsi, pour Kerboua, ce terme résume à lui seul "tous les archaïsmes de la société" - La Tribune, 10-11 août 2001.)

En 1881, dans le brouillon d’une lettre fameuse où, en réponse à Vera Zassoulitch, il s’en prenait aux "marxistes" qui voyaient dans la destruction de la commune rurale une étape indispensable du développement historique en Russie, Marx notait que l’élimination du capitalisme ne pouvait aller sans "un retour des sociétés modernes à une forme supérieure d’un type "archaïque" de la propriété et de la production collectives", et qu’il ne fallait donc "pas trop se laisser effrayer par le mot "archaïque"". Quant à l’Algérie, le type de propriété et de production collectives sur lequel reposait l’organisation tribale (propriété familiale indivise et inaliénable) fut systématiquement démantelé par les Français, en particulier avec le sénatus-consulte de 1863, "la machine de guerre la plus efficace que l’on pût imaginer contre l’état social indigène", comme l’écrivit alors un militaire français : "Grâce à lui, nos idées et nos mœurs s’infiltreront peu à peu dans les mœurs indigènes, réfractaires à notre civilisation, et l’immense domaine algérien, à peu près fermé jusqu’ici en dépit des saisies domaniales, s’ouvrira devant nos pionniers." Mais en Kabylie, où cette destruction de la propriété collective ne commença vraiment qu’avec les séquestres de terres consécutifs à la répression de l’insurrection de 1871 (ce n’est qu’en 1897 qu’une loi foncière rendit la terre aarch aliénable), elle n’eut pas pour résultat une dépossession au profit des colons. Les paysans parvinrent en effet à racheter la majeure partie des terres, surtout en Grande Kabylie, et cette diffusion de la propriété individuelle, Si elle affaiblit incontestablement les liens lignagers, semble avoir plutôt renforcé la cohésion des, villages et le rôle de l’assemblée dans l’organisation de la vie collective. Quoi qu’il en soit, que la longue histoire des institutions villageoises kabyles, à travers toutes ses vicissitudes (l’alternance de répression et de tolérance intéressée de la part des autorités françaises puis de l’état algérien), a légué au mouvement actuel, ce n’est certes pas un modèle d’organisation tribale (d’ailleurs les aarchs, là où ils subsistent, sont en fait - dans cette région, la Grande Kabylie, où la densité de peuplement est telle qu’on a pu parler d’espace quasi urbain - des fédérations de villages et non des lignages), mais une tradition de contrôle direct des "dépositaires du pouvoir" "Nulle part, autant que chez les Kabyles, le peuple n’est appelé à intervenir aussi directement dans les affaires." (Daumas.)

Que cette tradition soit restée vivante, au moins dans les mémoires, tout au long du XXe siêcle, voilà ce que suffirait à attester la référence qui y fut régulièrement faite par ceux qui s’en prenaient à l’idéologie arabo-islamique du nationalisme algérien (à l’intérieur des organisations messalistes successives, puis du F.L.N.). En 1937, Amar Imache, secrétaire général de l’étoile Nord-Africaine, dénonçant à la fois la direction autoritaire de Messali et le Front populaire qui venait de dissoudre cette organisation avec l’appui du P.C.F., écrivait dans sa brochure L’Algérie au carrefour : "On cachait volontairement que le premier gouvernement à forme républicaine et démocratique fut institué en Kabylie pendant qu’en France et ailleurs on ignorait ces mots." En 1949 encore, dans le Parti Populaire Algérien, les Kabyles opposés à l’idéologie arabo-islamique critiquent "le fonctionnement interne du parti, l’absence de démocratie, la promotion des éléments les plus conformistes" (Mohammed Harbi, Le F.L.N., mirage et réalité, 198O). Au cours de cet épisode, que l’on a qualifié de "crise berbériste", s’exprime également une critique de la religion, dont l’échec "annihile les espoirs de voir un nationalisme radical se développer indépendamment de la foi religieuse" (ibid.) ; les opposants sont exclus et il ne restera d’eux que l’accusation rituelle de "berbéro-matérialisme", lancée par les bureaucrates du F.L.N. contre quiconque menaçait le monolithisme de l’idéologie nationaliste. Enfin, en 1963, lors de sa fondation, le F.F.S. lui-même reconnaît dans ses statuts l’importance de la tajmat, l’assemblée villageoise, "institution démocratique encore vivace de nos jours et qui fait partie de notre patrimoine national le plus authentique et le plus glorieux".

Plus décisive évidemment que ces représentations diversement entachées d’idéologie, la persistance dans les mœurs de la tradition anti-étatique des communautés villageoises est elle-même largement attestée ; c’est en particulier le cas de la conception de l’honneur collectif conservée par ces communautés, selon laquelle c’était y porter gravement atteinte que de faire appel à quelque autorité extérieure que ce soit. En 1948, une assemblée de village interdisait par exemple formellement la communication d’informations concernant les affaires de la communauté : "Donner un renseignement à une autorité quelconque, même sur la moralité d’un concitoyen, même sur le chiffre de l’imposition, est sanctionné par une amende de dix mille francs. C’est le taux d’amende le plus fort qui existe. Le maire et le garde-champêtre n’en sont pas exempts." (Rapport d’un administrateur des services civils d’Algérie, in Alain Mahé, op.cit.)

En 1987, un épisode relaté par Mahé montre l’autonomie de l’assemblée défendue tout aussi vigoureusement, en l’occurrence contre un émigré de retour au village qui avait fait appel à la gendarmerie pour régler une affaire sur laquelle s’était prononcée l’assemblée. Et alors que commençait à s’organiser l’actuel mouvement des comités de quartiers et de villages, un délégué (de l’aarch des Ait Djennad) déclarait, faisant ainsi la preuve qu’au moins le souvenir de cette tradition ne s’était pas perdu : "Auparavant, lorsque la tajmat prenait en mains la résolution des conflits entre les gens, punissait le voleur ou le malfrat, on n’avait pas besoin d’aller au tribunal. C’était même honteux." (Il est sans doute assez difficile à un citoyen de nos démocraties de masse, plus enclin pour sa part à réclamer l’intervention de l’état dans chaque détail de sa vie, de comprendre un tel genre de civisme : ici ce seraient plutôt des en dehors qui pourraient s’y reconnaître. Plus étrange encore pour la passivité démocratique moderne, on trouve cité dans l’étude de Daumas sur la Kabylie un kanoun - liste des infractions sanctionnées par le droit coutumier, assortie des amendes fixées par l’assemblée - où est mentionné parmi les délits celui de "ne pas acheter un fusil quand on a les moyens de le faire" : voilà qui fait paraître encore plus comiques les illusions d’un autre militaire français kabylophîle, affirmant en 1863 qu’"il sera facile, avec le temps, de calquer les kanouns municipaux sur notre code, dont nombre d’articles se prêteraient parfaitement aux coutumes berbères".)

La force que l’actuel mouvement des assemblées a tirée de ce passé n’est telle que parce qu’il lui a servi à commencer de répondre aux besoins révolutionnaires de la société algérienne. Quand les aarchs y sont réapparus comme des revenants, le progressisme s’est rassuré en préférant voir là le dernier sursaut d’une communauté traditionnelle moribonde : un rebut historique, un vestige depuis longtemps condamné. On a vu la suite. Et sans céder aux facilités du pathos berbériste ("l’éternel Jugurtha", etc.), il faut tout de même noter, à propos de la prétendue caducité de ces assemblées villageoises, que, de mémoire d’étatiste, on ne les a jamais vues disparaître ; ce sont plutôt elles qui ont vu passer et s’anéantir plusieurs formes de domination étatique : sans remonter jusqu’aux Romains, au moins celle des Turcs, puis des Français, et bientôt peut-être celle de l’actuel pouvoir militaro-bureaucratique, si elles parviennent à devenir tout ce que la situation révolutionnaire qu’elles ont créée exige qu’elles soient.

IV

Même si elle devait s’arrêter là, l’insurrection algérienne aurait déjà beaucoup fait : dans des conditions très dures, elle est parvenue à accomplir pour la liberté ce que n’arrivent même pas à imaginer les habitants de la démocratie marchande, alors qu’ils doivent perdre une à une leurs illusions de sécurité. Ses limites ou ses défauts ne sont pas ce qu’en ont dit ceux à qui leur idéologie (en général banalement étatiste) interdisait d’adopter le point de vue des insurgés eux-mêmes, et donc de se représenter les circonstances dans lesquelles ils se trouvaient et les problèmes qu’ils affrontaient. En revanche, pour qui ne prétend pas juger ce mouvement au nom de principes particuliers ou d’intérêts distincts des siens, mais le défendre au nom de ce qu’il a fait de meilleur et de ce à quoi le mènent ses propres principes, un certain nombre d’inconséquences, d’illusions ou de naïvetés constituent des faiblesses bien réelles. Les relever n’est qu’une autre manière de rendre hommage à la liberté de critique qui a dès le début prévalu dans les assemblées : "Les réunions de la coordination auxquelles nous avons assisté (Azazga, Tizi-Ouzou) ne se sont pas déroulées dans un calme exemplaire. Le débat autour d’un seul point dure des heures. Les voix montent. Les avis s’entrechoquent. Le consensus est dégagé au forceps, souvent à la seconde ou troisième rencontre. "La démocratie ne s’accommode pas de l’unanimisme", nous dit-on." (El Watan, 14 juin 2001.)

Quant à l’obligation, qui aurait pu devenir paralysante de parvenir à un consensus pour toute prise de décision, les coordinations s’en sont déjà judicieusement libérées en adoptant la régle de la majorité des trois quarts lorsqu’un accord unanime ne peut être obtenu. De même la coordination interwilayas a décidé fin août, relevant "l’absence de l’élément féminin" dans les coordinations comme l’un des "points faibles du mouvement", d’encourager la participation des femmes. (Remarquons à ce sujet que seule une féministe obsédée de parité peut croire que les femmes ne jouaient aucun rôle dans les communautés villageoises, sous prétexte qu’elles n’étaient pas formellement membres des assemblées, et ne pas voir comment elles participent de fait a l’actuel mouvement, sans qu’il soit besoin pour cela de fixer, à l’américaine, un quota de déléguées.)

Plus grave est la timidité dont ont fait preuve les coordinations à propos du terrorisme "islamique", alors que personne n’ignore en Algérie la responsabilité de l’armée et de ses services spéciaux dans sa fabrication et sa perpétuation depuis dix ans ; au moins sous la forme de la "sale guerre" menée par les prétendus éradicateurs. Cette étrange retenue, sur un sujet aussi décisif pour un mouvement qui déclare vouloir se réapproprier l’histoire de l’Algérie, était déjà une erreur alors que les attentats reprenaient (à Alger pour la première fois depuis trois ans), cernant véritablement la Kabylie à l’ouest et à l’est, comme un tir de barrage ; et il ne s’est trouvé à ce sujet qu’un membre du comité populaire de Béjala pour poser, au moins, la question : "Est-ce que les terroristes ne sont pas réactivés pour tuer le mouvement populaire en Kabylie ?" (Le Jeune Indépendant, 25 juillet 2001.) Mais la retenue n’était décidément plus de mise après les attentats du 11 septembre aux états-Unis, lesquels ont très opportunément permis aux généraux algériens, bien relayés par une presse qui sur ce sujet reste indéfectiblement aux ordres, de se poser en avant-garde de l’antiterrorisme "démocratique", afin de dissuader les puissances étrangères de miser sur un changement de régime. Or la coordination de la wilaya de Tizi-Ouzou n’a rien trouvé de mieux à faire en la circonstance que d’envoyer "un message de soutien au peuple américain" où, en plus des "sincères condoléances au président George W. Bush", elle alignait toutes les platitudes de la propagande bien pensante.

à bien la considérer, cette retenue sur le sujet du terrorisme n’est sans doute qu’une conséquence de celle, plus centrale, qui marque l’ensemble de la stratégie spontanément adoptée par les assemblées depuis le printemps. Ayant créé en Kabylie un état de fait qui s’apparente à bien des égards à une situation classique de double pouvoir, elles se gardent de tout ce qui pourrait compromettre le fragile équilibre qui s’est ainsi établi. Leur volonté maintes fois réaffirmée de s’en tenir à des méthodes pacifiques, aussi compréhensible soit-elle après tant de morts, et depuis si longtemps, ne saurait pourtant leur suffire à maîtriser pratiquement l’inévitable part de violence - ne serait ce que face aux provocations - d’un conflit qui ne peut qu’être toujours plus aigu. Même leur critique de la politique reste une sorte de critique par défaut : l’autonomie est fermement défendue contre les partis, mais l’exercice de cette autonomie est cantonné à la "protestation", toute "proposition" étant rejetée d’emblée avec la politique, et assimilée à ces "options de prise de pouvoir" que le code d’honneur adopté par les délégués de Tizi-Ouzou récuse. Déjà en juin, la plate-forme proposée à Béjala avait finalement été refusée, parce que deux revendications - l’abrogation du code de la famille et la suppression de l’état d’urgence - étaient "partisanes" (la première étant en effet soutenue par le R.C.D., et la seconde par le F.F.S.), et qu’il n’était donc pas question de les faire endosser par les assemblées. Il ne faut pourtant pas voir là quelque chose comme l’habituel modérantisme imputable à un appareil en formation (même si bien sûr il existe toujours le risque de voir se former à l’intérieur des coordinations une "élite", un encadrement qui serait par nature porté à défendre une telle "stratégie"). La réunion de la coordination de Tizi-Ouzou, à Illilten le 24 août, a d’ailleurs rejeté à l’unanimité la proposition de recruter deux permanents qui seraient "chargés des travaux de secrétariat" : ""Nous sommes tous des volontaires au sein du mouvement et il n’est pas question que l’on paye qui que ce soit", a-t-on rétorqué dans la salle." (La Tribune, 25 août 2001.) La limitation du programme explicite des assemblées peut d’autant moins être assimilée à une politique conciliatrice que le rejet des toutes dernières propositions de négociation, émanant cette fois très officiellement de Bouteflika, vient de montrer que les assemblées ne se dérobaient pas à une nouvelle épreuve de force.

La stratégie spontanée des assemblées les a amenées très logiquement à la désobéissance civile désormais envisagée par les coordinations (avec comme première mesure le non-paiement des factures d’électricité, au motif qu’elles incluent une taxe perçue par ta télévision d’état). Et l’on peut penser qu’en se transformant en projet positif de sécession, le mouvement anti-étatique des assemblées va retrouver devant lui toutes ces tâches qui incombent à un pouvoir insurrectionnel et qu’il a refusé jusqu’ici d’assumer, un peu à la façon des anarchistes espagnols en 1936. Aucune fraction du pouvoir n’étant manifestement prête à prendre le risque d’une répression ouverte, il est en effet fort possible qu’un statut d’autonomie, sur le modèle de l’Espagne post-franquiste, soit finalement accordé à là Kabylie : il n’y a guère d’autre issue institutionnelle à la crise, et outre que celle-là est la plus présentable à l’étranger, elle est susceptible de rallier sur place tout le personnel politique qui n’attend que cette occasion. (Si le F.F.S. s’affaire surtout à organiser en Kabylie les ennemis des assemblées, le R.G.D., fidèle à son passé et trop discrédité sur place pour ce genre d’opérations, mise quant à lui sur un accord négocié avec les "décideurs" et concédant l’autonomie : Sadi se voit déjà en Jordi Pujol de cette Catalogne-là.) Ceux qui se préparent à diriger une Kabylie autonome ont évidemment, comme le répugnant Ferhat Mehenni qui lui donne pour programme de devenir "la Californie de toute l’Afrique", des ambitions et des buts radicalement opposés à la tendance profonde des coordinations. Et Si c’est bien ce scénario d’une "politique kabyle" qui prévaut à Alger (le pouvoir renouant ainsi, sur ce point également, avec les méthodes de la colonisation>), les assemblées ne pourront reculer plus longtemps, sauf à abdiquer totalement en acceptant de s’intégrer à un appareil d’état "régionalisé", devant la tâche de défendre leur propre autonomie en l’étendant à tout ce qu’elles ont jusqu’ici laissé de côté. C’est en particulier la question des vraies richesses, sommairement évoquée dans la plate-forme d’El-Kseur par le refus de la "clochardisation" et de la "paupérisation", qu’il leur faudra alors élucider, en comprenant en quoi le développement économique, non seulement ne met pas fin à la "paupérisation", mais la précipite en y ajoutant de nouvelles misères. Tout est encore possible aux assemblées de Kabylie, y compris d’en arriver là.

En France, l’insurrection algérienne a été plus ignorée qu’incomprise, et plus encore qu’ignorée, spontanément méprisée, la fausse conscience ne voyant rien là d’intéressant, tout occupée qu’elle est à scruter les "phénomènes de société" qu’on met en scène à son intention. Quant aux intellectuels, dont certains délégués avaient la naïveté de croire qu’ils pourraient aider à faire connaître le mouvement à l’étranger, ils se sont bien gardés d’en dire quoi que ce soit. Sans parler des Glucksmann et des Bernard-Henri Lévy, zélés propagandistes de l’anti-islamisme des généraux algériens, on n’entendit pas beaucoup ce Bourdieu d’ordinaire si bavard sur les "mouvements sociaux", et qui a tout de même commencé sa carrière en prenant les Algériens, et les Kabyles en particulier, pour objet de sa science sociologique. Le fond de l’abjection fut atteint avec naturel par Sollers affirmant que toute "dignité humaine" n’était qu’illusion (spectaculaire bien évidemment), puisque de toute façon personne n’allait se "mobiliser pour défendre la révolte kabyle" (Le Journal du Dimanche, 27 mai 2001).

On peut conserver l’ambition de ruiner ces syllogismes de l’acceptation. Mais pour l’instant les insurgés d’Algérie sont seuls, plus seuls que ne l’ont jamais été des révolutionnaires dans le passé.

Jaime Semprun
Publié aux Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, 2001

 
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