26/01/2018

Jameson + Zizek + Hegel + Lacan : sur l'universalité

Donc Zizek cite ici Jameson puis invoque Hegel et Lacan pour parler d'universalité. Ca vient d'une conférence de juin 2015 donnée par Badiou et Zizek autour du livre de ce dernier "Moins que rien, Hegel et l'ombre du matérialisme dialectique". C'est visible ici, et en français. Notre extrait débute à 00:53:17.

« Comment les idéologues de la modernité dans son acception courante parviennent-ils alors à distinguer leur produit ­­— la révolution informatique et la modernité libérale mondialisée — de l’espèce détestable précédente, sans s’engager dans les interrogations politiques et économiques systématique sérieuses que le concept de postmodernité rend inévitables ? La réponse est simple : vous parlez de modernités « alternées » ou « alternatives ». Tout le monde connaît désormais la formule : cela signifie qu’il peut y avoir une modernité pour chacun, qui se distingue du modèle anglo-saxon hégémonique ou typique. Tout ce que vous détestez dans cette dernière (dans notre modernité du capitalisme libéral), y compris la position subalterne dans laquelle elle vous maintient, peut être gommé par l’idée « culturelle » rassurante que vous pouvez façonner différemment votre propre modernité, de sorte qu’il peut en exister une version latino-américaine, une version indienne ou africaine, et ainsi de suite. (...) Mais cela a pour but d’occulter l’autre sens fondamental de la modernité, celui du capitalisme mondial lui-même. »
Fredric Jameson, A Singular Modernity, Londres, Verso Books, 2002, p.12

Je crois que Jameson a raison ici aussi bien au niveau politique qu’au niveau conceptuel. Au niveau politique vous savez quelle est sa thèse : la modernité est un autre nom du capitalisme, aujourd’hui le processus capitaliste global. Et, l’idée c’est que l’erreur de cet historicisme nominaliste c’est de dire de  nouveau : « Mais il n’y a pas la modernité, il y a diverses modernités. Vous les européens avez la votre, mais nous, en Inde, en Amérique Latine, au Japon etc. nous allons construire une autre modernité sans vos antagonismes, sans lutte des classes, blablabla. » Cela vous indique déjà où est le problème : On ne doit jamais oublier qu’on a déjà vue dans l’Europe de la première moitié du 20ème siècle un grand essai de modernité alternative, et c’est le fascisme bien sûr. C’est exactement ca ! « Comment garder la modernisation industrielle mais en évitant tous les antagonismes qui sont projeté sur le juif, la lutte des classes, etc. » Donc je crois que c’est ça qui est erroné dans ce nominalisme de la pluralité des modernités. Ce qui disparaît, c’est le fait que, oui, au niveau des faits c’est vrai, il n’y a qu’une société moderne, paradigmatique peut-être. Il n’y a que des différentes modernités, il y a une modernité allemande, une modernité anglo-saxonne, japonaise, etc. Mais où est l’universalité ? Elle n’est pas dans un cadre général mais dans l’antagonisme du capitalisme. Voici l’idée : Toutes les modernités positives, qui existent vraiment, ne sont que des réponses pour essayer de contrôler, de pacifier, un antagonisme fondamental. Et cet antagonisme lui-même est la seule universalité. Et sans cette référence à cet antagonisme de l’universalité, on ne peut pas vraiment comprendre la pluralité des différents modes de modernité.

Je crois que c’est à cela que pense Hegel avec sa notion d’universalité concrète. Ca n’est pas que l’on a une universalité, disons La modernité qui se divise entre modernité anglo-saxonne, européenne, etc. Non. L’antagonisme n’est pas entre des modernités particulières dans le cadre d’un tout englobant, d’une modernité générale, non. L’antagonisme véritable n’est pas entre les formes particulières, mais entre le particulier et l’universelle lui-même. Chaque particularité est dans un rapport antagoniste avec sa propre universalité.

Je crois que c’est justement ce que Lacan indique. Et on peut dire la même chose du concept d’Etat par exemple. Pourquoi y a-t-il plusieurs formes d’Etat ? Parce que, comme on le sait depuis le Marxisme, l’état est un projet totalement inconsistant et antagoniste : Comment imposer une pacification du corps social mais basé précisément sur la lutte des classes. Les différentes formes d’Etat sont des tentatives de combattre, de contrôler cet antagonisme.

Hegel dit que cet antagonisme au niveau de l’Etat est irréductible, que la seule façon d’obtenir un Etat vraiment en réconciliation, c’est de sortir du domaine même de l’Etat. C’est à dire d’aller dans l’absolu, dans la communauté religieuse, etc. etc.

Slavoj Zizek

 
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