Frank Wisner, le diplomate retraité envoyé par l’administration Obama auprès du président Moubarak, a provoqué un profond malaise le week end dernier à Washington.
Lorsqu’il a déclaré que Moubarak était “essentiel dans le processus de transition » et qu’il ne devrait pas être forcé à démissionner, exprimait-il la « vraie politique » du président Obama, qui venait juste de demander une « transition maintenant », ou les intérêts du lobby dont il est le conseiller ?
L’ancien ambassadeur des Etats-Unis au Caire, dont tout le monde reconnaît les qualités et l’entregent diplomatiques, collabore, en effet, depuis 2009 avec d’une société d’affaires publiques, Patton Boggs, qui défend l’Etat égyptien à Washington.
Cet incident souligne le phénomène de la revolving door, qui s’immisce régulièrement dans les relations internationales des Etats-Unis et complique leur diplomatie. Cette « porte tournante » institutionnalise le système de « pantouflage » d’anciens diplomates ou membres de l’administration dans des entreprises privées directement concernées par la politique étrangère des Etats-Unis.
Certes, il peut paraître logique que les Etats-Unis aient choisi d’envoyer en Egypte une personne dotée d’excellents contacts au sein du système Moubarak. Le président égyptien aurait-il accepté de discuter avec un envoyé spécial américain qu’il ne connaissait pas ou dont il pouvait craindre les intentions ?
Toutefois, en recourant à Frank Wisner, l’administration s’exposait à un retour de flamme : elle pouvait choquer l’opposition, parfaitement au courant des liens entre Wisner et Moubarak ; elle pouvait également se retrouver face à un envoyé spécial dont elle ne pouvait déterminer la loyauté. Dans les faits, Frank Wisner allait-il être le représentant de Barack Obama ou l’avocat de Hosni Moubarak ?
L’histoire des Etats-Unis est émaillée d’exemples qui démontrent l’intrusion de grandes entreprises dans la politique étrangère, débouchant très souvent sur un mélange des genres et sur des conflits d’intérêts embarrassants.
Le danger pour les intérêts stratégiques des Etats-Unis est réel. Comme le démontre Stephen Kinzer, du New York Times, dans son excellent livre Overthrow, des décisions graves, comme le renversement en 1953 du premier ministre nationaliste iranien Mossadegh ou le putsch en 1954 contre le gouvernement social-démocrate guatémaltèque du président Arbenz, ont été prises sous l’influence des grandes entreprises : les firmes pétrolières en Iran, la compagnie bananière United Fruit Company au Guatemala.
En 1954, lorsque la Maison Blanche approuva l’opération contre le président Arbenz, provoquant l’arrivée au pouvoir d’un régime d’extrême droite, deux personnes liées à la United Fruit occupaient des postes stratégiques au sein de l’administration : Allen Dulles dirigeait la CIA ; son frère John Forster Dulles était secrétaire d’Etat.
Les « réalistes » diront sans doute que, très souvent, les intérêts des multinationales américaines coïncident avec ceux de l’Etat américain et que dès lors ces convergences sont naturelles, voire bénéfiques. « Ce qui est bon pour la United Fruit est bon pour l’Amérique », disait-on à Washington en 1954.
D’autres, moins complaisants, relèveront, toutefois, que cette privatisation de la diplomatie américaine explique souvent la collusion des Etats-Unis avec des dictatures et l’aveuglement dont ils ont régulièrement fait preuve, pour leur grand malheur, à propos de pays clés, de l’Iran…à l’Egypte.