Il faut absolument lire le dernier billet de blog de Frédéric Lordon qui est ici. Mais comme je sais que vous ne le ferez pas, je me permets d'en copier / coller un long extrait, le plus éloquent d'après moi, pour décrire la situation présente de l'extrême centre en macronie.
"Die Welt, qui n’est pas exactement une feuille de squatteurs berlinois, titre sur la police française : « La plus brutale d’Europe ». Le moment ne devrait pas tarder où l’on lira — mais dans la presse étrangère seulement — des mises en comparaison de la pratique gouvernementale-policière française et de celle d’Erdoğan. C’est qu’à l’aveugle (sans la reconnaissance des lieux, des tenues, etc., qui identifient), on peine déjà à dire quelles images viennent d’où. Pourtant, d’ici que l’éditocratie française en vienne à lâcher sa scie du « libéralisme » de Macron et de l’« illibéralisme » de Salvini-Orbán-Erdoğan, son théâtre de Guignol préféré, son objet transitionnel, sa certitude du bon dodo, il va en falloir de l’œil crevé et de la main arrachée.
Pendant ce temps, le niveau des eaux boueuses du macronisme n’en finit pas de monter. Une mer de boue en fait, car le délire policier ne trouve ses autorisations que dans un climat d’ensemble — le macronisme, précisément. « Macronisme » est la dénomination française de ce que Tariq Ali, puis Alain Deneault, ont appelé « l’extrême centre ». Il y a quelque chose de très profond dans cette appellation, et pas seulement un effet d’oxymore, quelque chose de très profond qui dit le lieu véritable de la radicalisation dans les sociétés néolibérales. Ça n’est nullement un hasard que ce soit depuis le cœur de ces sociétés, le cœur des dominants, que soit diffusée cette catégorie de « radicalisation », comme de juste sur le mode projectif-inversé : pour en réserver l’application à tout ce qui n’est pas eux quand les véritables radicalisés, ce sont eux.
Les indices les plus accablants ne sont pas forcément les plus spectaculaires. Certes nous savons que nous sommes sous la coupe d’un pouvoir de sociopathes, qui mutile sans un mouvement de conscience, et dont il n’est pas extravagant, au point où nous en sommes, d’imaginer qu’il pourrait faire tirer sur la foule si sa protection l’exigeait. Mais les mouvements collectifs de pensée et de discours de la base des convaincus dont ce gouvernement se fait une ceinture protectrice, quoique moins directement, physiquement, destructeurs, ne sont pas moins inquiétants pour autant. Le malheureux chef des Décodeurs du Monde qui devait sans doute communier dans la représentation centrale de son journal, où la violence est réservée aux extrêmes « usuels » — l’extrême droite et « l’extrême gauche », avec l’avantage indéniable de pouvoir mettre un signe « égal » entre le RN et la France Insoumise — et qui pensait probablement, sur cette base que le macronisme avait l’évidence démocratique du barrage, a découvert à ses dépens la vérité de l’extrême centre, des armées de trolls macroniens, parfois automatisées, parfois décentralisées, d’une morgue, d’une arrogance de classe et d’une violence verbale inouïes — au point de lui faire jeter l’éponge et se retirer des réseaux sociaux. Paradoxe qui, en raccourci, dit tout de l’époque : c’est la macronie qui aura eu la peau de Samuel Laurent !
On aurait tort de croire le phénomène strictement français : il a la même généralité que le néolibéralisme international. En mai 2018, une tribune publiée par un chercheur en sciences politiques dans un New York Times sans doute passablement déboussolé avait fait découvrir que, dans un assez large spectre de pays, les électeurs du centre étaient les plus sceptiques en les valeurs de la démocratie, et les plus enclins, s’il le fallait, à en congédier les institutions caractéristiques, notamment les élections et la presse libres, et à soutenir des régimes autoritaires, et ceci dans des proportions plus importantes que même l’extrême droite et l’extrême gauche ! Le macronisme est la parfaite émanation de cette inclination violemment antidémocratique des « démocrates », ce « centre » que la presse célèbre depuis des décennies, dont elle a épousé toutes les positions, et dont on se demande jusqu’où il faudra aller pour obtenir d’elle le premier décollement."
Lisez la suite ici : https://blog.mondediplo.net/ou-est-steve-et-ou-va-la-police
15/07/2019
TXT : Lordon sur l'extrême centre
10:21 PM
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