"Dis-moi qui t'a fait roi et je saurai quel dirigeant tu seras" dit le proverbe. Pour Mario Draghi, s'il devient le successeur de Jean-Claude Trichet à la tête de la BCE, la réponse coule de source. Ceux qui l'auront fait roi seront deux politiciens sans scrupules, sans plus la moindre légitimité démocratique dans leurs pays respectifs, et la finance internationale incarnée par Goldman Sachs, la banque d'affaire accusée par le Congrès américain de ne respecter aucune règle d'éthique et qui a permis à la Grèce de cacher son déficit public réel pendant des années (opération organisée quand Mario Draghi en était le vice-président pour l'Europe) 1.
Un maelström vient de se déclencher pour pousser en avant la candidature pourtant bien improbable de Mario Draghi à la tête de la Banque Centrale Européenne. D’une part, les acteurs à la manœuvre derrière cette opération de communication et, d’autre part, la pugnacité avec laquelle ils opèrent sont deux indicateurs clairs que Draghi est le contraire de ce dont nous, l’Europe et la BCE avons besoin.
En tête de l’opération de communication, on trouve bien sûr tous les médias financiers, et derrière eux, le monde financier. Ayant tiré tout ce qu’il y avait à tirer des Etats-Unis, ils s’envolent maintenant vers l’Europe qui, bien que sévèrement ballotée par l’effondrement du pilier US, avait réussi à se maintenir à flot grâce au cadre strict imposé au monde de la finance, à l’ébauche d’une gouvernance et à un resserrement des liens entre les pays de la zone Euro, et à l’affirmation d’une solidarité indéfectible entre partenaires de cette même zone. Qu’en sera-t-il du travail réalisé ces derniers mois par Merkel, Trichet et quelques autres si la BCE est livrée à un ancien de Goldman Sachs ?
Ces milieux financiers anglo-saxons n’ont pas eu longtemps à chercher leurs hommes de main parmi la classe dirigeante de la zone Euro : Sarkozy piaffait sans doute déjà d’impatience à l’idée de faire un nouveau mauvais tour à l’Europe et à la France ; quant à Berlusconi, il était également tout trouvé, puisqu’il avait ainsi l’occasion d’envoyer à Francfort un concurrent encombrant (une raison de fond, on le voit). Tous deux se disputent des scores abyssaux d’impopularité et sont accusés de trahison des valeurs les plus emblématiques de leur pays. Sarkozy vient de déclencher la 5° guerre que mène son pays en dehors de tout mandat parlementaire, mettant cette fois en péril la puissance du moteur franco-allemand et la cohésion de l’Europe dans son ensemble, prenant le risque de plonger la France dans un marasme de type Iraq pour les Etats-Unis, et créant les conditions pour une nouvelle Somalie en pleine Mare Nostrum que risque de devenir la Libye. Voilà de manière résumée la nature des principaux soutiens politiques à la candidature de Mario Draghi : deux personnages qui défendent certainement de nombreux intérêts mais sûrement pas l’intérêt collectif des européens.
La pugnacité avec laquelle opèrent les puissances à l’œuvre derrière la candidature de Draghi est en soi un autre signal d’alerte. Le feu nourri auquel se livre la presse financière pour décrocher des soutiens ou répercuter la moindre petite phrase vaguement favorable à Draghi ou interprétable en ce sens nous dit une chose2 : Draghi, ça va payer !
C’est pourtant ce qui risque de nous arriver. Cela ne dépend probablement plus que de l’Allemagne. Or on peut supposer que Merkel va hésiter à donner l’impression de se mettre à nouveau en porte-à-faux avec le reste de la zone Euro après l’affaire de la Libye. En tous cas, les forces favorables à Draghi vont certainement jouer cette carte pour tenter de neutraliser l’Allemagne. Certes, la cohésion de l’Europe est mise à mal en ce moment en raison les divergences croissantes entre des dirigeants tournés vers le passé d’un côté et d’autres tournés vers l’avenir. Un tel hiatus est normal en période de crise et donc de transition. Mais le rôle des vrais politiques est de trancher en faveur de l’avenir. Les opinions publiques dans leur majorité y sont déjà ralliées, et les autres dirigeants s’y rallieront bientôt pourvu que la direction soit fermement indiquée.
Cela dit, si l'Euroland veut plonger avec les Etats-Unis dans leur naufrage financier, monétaire, économique et moral, alors il faut en effet ne pas hésiter et choisir Draghi.
Si l'Euroland veut prouver une fois pour toute à son opinion publique de plus en plus critique qu'elle vise à devenir une ploutocratie, dirigée par la finance, sans aucun respect pour les peuples, alors il faut choisir Draghi.
Si l'Euroland veut renforcer l'idée d'un Euro faible, à l'italienne ou à la Méditerranéenne, alors, il faut choisir Draghi.
Dans les trois cas, Draghi à la tête de la BCE c'est l'assurance de créer très vite de graves dissensions internes dans l'Euroland, d'accroître l'influence de Goldman Sachs et consorts dans la gestion de l'Euroland et enfin, de préparer un affaiblissement de l'Euro pouvant conduire à son implosion.
Notes :
1 Rappelons que Goldman Sachs, c’est la banque d’affaire qui a truqué les comptes grecs pour permettre à la Grèce d’entrer dans la zone Euro, au risque - probablement calculé - de faire capoter le projet Euroland, échec sur lequel elle avait - comme par hasard – spéculé des milliards de dollars.
2 Pour un peu l’Allemagne le soutiendrait déjà officiellement parce qu’un inconnu à Berlin a dit que l’Allemagne ne pousserait pas pour un candidat allemand, ce qui pouvait en fait vouloir dire le contraire, à savoir que, puisque Weber est out, l’Allemagne peut soutenir n’importe quelle nationalité. Source : AGEFI, 12/04/2011
Publié le 30 avril 2011 par Masha Loyak sur Newrop Mag
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