06/05/2011

Les armées secrètes de l’OTAN (VIII) La guerre secrète en Espagne

En Espagne, le combat mené par la droite contre les communistes et la gauche ne prit pas l’apparence d’une lutte secrète, mais d’une guerre ouverte et brutale qui dura 3 ans et fit 600 000 victimes au total, soit autant que la guerre de Sécession aux États-Unis. L’historien Victor Kiernan observa assez finement qu’une « armée, censée assurer la sécurité de la nation, peut parfois se comporter comme un chien de garde qui mord ceux placés sous sa protection ». On pourrait penser que cette analyse a été inspirée par les armées secrètes stay-behind. Pourtant, Kiernan décrivait par ces mots le commencement de la guerre civile espagnole qui débuta le 17 juillet 1936, quand un groupe de militaires conjurés tentèrent de s’emparer du pouvoir, il est vrai que « les généraux espagnols ont, comme leurs cousins d’Amérique du Sud, la fâcheuse habitude de se mêler de politique ». [1]

Le coup d’État militaire du général Franco et de ses complices survint après que la gauche réformatrice de Manuel Azada eut remporté les élections du 16 février 1936 et mis en œuvre de nombreux programmes en faveur des franges les plus défavorisées de la société. Cependant, aux yeux de la caste militaire puissante et mal contrôlée, l’Espagne menaçait de tomber entre les mains des socialistes, communistes, anarchistes et autres gauchistes anticléricaux. Dans les rangs de l’armée, beaucoup étaient convaincus de devoir sauver le pays de la menace rouge du communisme qui, dans l’URSS de Staline, entraînait des purges et des assassinats de masse. Certains historiens, dont Kiernan, analysent avec moins d’indulgence les causes de la guerre d’Espagne. Pour eux, « les coupables n’auraient pas pu être plus clairement désignés (...) Le cas de l’Espagne est d’une grande simplicité. Un gouvernement élu démocratiquement fut renversé par l’armée. Pas difficile de choisir son camp. D’un côté les pauvres, de l’autre les fascistes, les puissants, les grands propriétaires terriens et l’Église. » [2]

Alors qu’en 1967, en Grèce, le putsch avait permis aux militaires d’accéder au pouvoir en moins de 24 heures, en 1936, l’opposition de la population civile espagnole fut si massive que la République lutta pendant 3 ans avant que s’installe la dictature militaire de Franco. La bataille fut longue et intense, non seulement parce que de nombreux citoyens prirent les armes contre l’armée mais également parce que 12 Brigades Internationales se formèrent spontanément pour renforcer la résistance républicaine opposée à Franco. Fait unique dans l’histoire de la guerre, de jeunes idéalistes, hommes et femmes, venant de plus de 50 pays, furent volontaires pour rejoindre les Brigades Internationales qui rassemblèrent finalement entre 30 et 40 000 membres. La plupart d’entre eux étaient des ouvriers, mais l’on vit aussi des professeurs, des infirmières, des étudiants et des poètes venir se battre en Espagne. « C’était très important d’être là », commenta 60 ans après les faits Thora Craig, une infirmière britannique née en 1910, « dans ce moment historique, et d’aider. Ce furent les plus importantes années de ma vie. » Robert James Peters, né en 1914 et plâtrier de son état, déclara : « Si j’ai jamais fait quelque chose d’utile dans ma vie, alors c’est certainement cela. » [3]
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Malgré le soutien des Brigades Internationales, les socialistes et communistes espagnols ne parvinrent pas à empêcher le coup d’État de Franco car celui-ci bénéficia de l’appui de Mussolini et Hitler et de la décision de ne pas intervenir des gouvernements britannique, français et états-unien. Estimant avoir plus à craindre du communisme espagnol que d’un dictateur fasciste, ils assistèrent en silence à la mort de la République espagnole. Si, dans le contexte des prémices de la Seconde Guerre mondiale, on a beaucoup écrit sur l’échec des Premiers ministres britannique et français Chamberlain et Daladier à stopper Hitler et Mussolini à Munich en septembre 1938, le soutien silencieux de Londres et Paris à l’anticommunisme italien et allemand en Espagne et ailleurs a, lui, suscité moins de commentaires. Pendant que l’Union soviétique armait les Républicains espagnols, Hitler et Mussolini envoyèrent en Espagne plus de 90 000 soldats armés et entraînés. L’aviation allemande fut elle aussi responsable de véritables massacres, comme le bombardement du village de Guernica immortalisé par Picasso. Suite à quoi, le 27 février 1939, le gouvernement britannique enterra définitivement la République espagnole en reconnaissant officiellement le régime de Franco. Hitler et Mussolini venaient de sécuriser leur flanc ouest en s’assurant la neutralité de l’Espagne dans la guerre à venir. La lutte contre le communisme se poursuivant à l’échelle de l’Europe avec les tentatives répétées d’invasion de l’URSS par Hitler, qui échouèrent toutes mais au prix d’un nombre considérable de victimes, le dictateur Franco retourna la politesse aux puissances de l’Axe en envoyant sa Division Bleue combattre aux côtés de la Wehrmacht sur le front russe.

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Daniele Ganser
Historien suisse, spécialiste des relations internationales contemporaines.
Il est enseignant à l’Université de Bâle.

Trouvé sur le Réseau Voltaire
http://www.voltairenet.org/spip.php?article169649




Cet article constitue le septième chapitre des Armées secrètes de l’OTAN  sur le Réseau Voltaire
© Version française : éditions Demi-lune (2007).



[1] Dans sa préface de l’ouvrage de Ian Mac Dougall, Voices from the Spanish Civil War. Personal Recollections of Scottish Volunteers in Republican Spain, 1936–1939 (Polygon, Édimbourg, 1986).
[2] Paul Vallely, « Romancing the past : Sixty years ago, thousands of men and women went to fight in the Spanish Civil War. Are there any ideals for which we would take up arms today ? » dans le quotidien britannique The Independent du 22 juillet 1996.
[3] Brian Catchcart, « They kept the red flag flying : It is 60 years since General Franco launched his assault on the Spanish Republic and thousands of young Britons joined the International Brigades to defend it. What drove them to leave homes, jobs and families, risking their lives ? And what did they find when they returned ? » dans l’hebdomadaire britannique The Independent on Sunday du 21 juillet 1996.

 
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