29/08/2016

MUSIC : Bigger slump and bigger wars and a smaller recovery

Je connais ce morceau depuis 1997 et la cassette de skate 411vm issue 20, le Profile de Marc Johnson pour être précis. Morceau forcement téléchargé deux ans plus tard via Napster. Mais c'est donc presque 20 ans plus tard que j'écoute enfin les paroles avec attention pour me rendre compte de leur haut degrés de subversion.

#Mieux vaut tard que jamais.
#J'aime me garder des surprise.



Stereolab - Ping Pong (1994)

It's alright 'cos the historical pattern has shown
how the economical cycle tends to revolve
in a round of decades three stages stand out in a loop
a slump and war then peel back to square one and back for more

bigger slump and bigger wars and a smaller recovery
huger slump and greater wars and a shallower recovery

you see the recovery always comes 'round again
there's nothing to worry for things will look after themselves
it's alright recovery always comes 'round again
there's nothing to worry if things can only get better

there's only millions that lose their jobs and homes and sometimes accents
there's only millions that die in their bloody wars, it's alright

it's only their lives and the lives of their next of kin that they are losing
it's only their lives and the lives of their next of kin that they are losing

it's alright 'cos the historical pattern has shown
how the economical cycle tends to revolve
in a round of decades three stages stand out in a loop
a slump and war then peel back to square one and back for more

bigger slump and bigger wars and a smaller recovery
huger slump and greater wars and a shallower recovery

don't worry be happy things will get better naturally
don't worry shut up sit down go with it and be happy

dum, dum, dum, de dum dum, de duh de duh de dum dum dum... ah ah
dum, dum, dum, de dum dum, de duh de duh de dum dum dum... ah ah


26/08/2016

DOCU : ZERO DAYS

Le documentaire Zero Days d'Alex Gibney est un véritable thriller au coeur de la cyber guerre. Pour la première fois, le film raconte toute l'histoire de Stuxnet, un malware ultra-puissant diffusé par les Etats-Unis et Israël pour détruire des composants clés des sites nucléaires iraniens, mais qui finit par s'étendre bien au-delà de sa cible initiale. Zero Days est à ce jour le récit le plus complet d'une mission clandestine développée par deux alliés aux agendas contradictoires, et de la manière dont des conflits internes ont fini par ouvrir à jamais la boîte de Pandore de la cyber guerre. Bien plus que les aspects techniques de l'affaire, le documentaire révèle une toile de fond pleine d'intrigues impliquant la CIA, le US Military's new cyber command, le Mossad, et des opérations qui incluent tant l'espionnage que des assassinats ciblés, et surtout une nouvelle génération d'armes informatiques dont la puissance destructrice n'est égalée que par une guerre nucléaire.

Source : Zero Days



25/08/2016

John Searle, Foucault et l'Obscurantisme de la Philo française

Dans cet extrait, Searle revient sur une discussion avec Foucault dans laquelle il critiquait la qualité et la clarté de son écriture, ce à quoi le philosophe français lui répondait, et je paraphrase légèrement : "J'suis obligé d'être au minimum 10% obscure sinon on ne me prend pas au sérieux." Plus tard, Bourdieu lui dira que la situation est bien pire que cela, lui assurant que l'obscurité nécessaire pour être considéré en France se situait plutôt autour des 20%.  

QUELQU'UN PEUT EN PARLER A LORDON ET AUX "AMIS DE JULIEN COUPAT" ?

Source : OpenCulture




07/08/2016

"We didn’t think we were going to win”

Cet article de Buzzfeed (#cliquez-ici) reprend des pans entiers de la vie de Donald J. Trump et les met en perspective après sa récente victoire à l'investiture républicaine. Lisez le. 

Pour les flemmards, je vous fais une version condensée pour arriver aux dernières informations sur ses soi disant "coups de génie" électoraux. 

Précédemment dans Les aventures de Donald  :

Jeune ado bien loti entre Brooklyn et le Queens, Donald convoite déjà l'autre rive de l'East River. Fraichement débarqué à l'université de Pennsylvanie pour y étudier à la Wharton School of Finance, une prestigieuse école de commerce, il affirme déjà vouloir devenir le roi de l'immobilier sur l'île légendaire, le joyaux de New York, Manhattan. Ce qu'il essaie de faire dès l'obtention de son diplôme, contre l'avis de son père. 

Seulement l'île est squattée par des financiers issues d'un milieu bien plus aisé que le sien voyant d'un mauvais oeil ce beauf se lancer à la conquête de leur habitat naturel. Dans les hautes sphères, financières et politiques, personne ne respect Donald, mais en faisant du bruit et en envoyant lui même aux médias des informations croustillantes sur sa vie sexuelle, Donald parvient à être connu, ce qui en soi est déjà pas mal. 


Pauvre Donald qui essaie 
malgré tout de parler politique et de maintenir le suspens sur une possible carrière tantôt chez les républicains, tantôt chez les démocrates, tantôt pour être maire, tantôt aspirant gouverneur. Il pissait en fait dans un violon. La presse people lui réussissait bien mieux. Il est d'ailleurs déjà à cette époque la tête de turc des satires américains, particulièrement de magazine Spy.

Puis arrive Obama et son histoire familiale alambiquée. Donald veut voir son certificat de naissance, mais Barack fait durer le suspens, assez pour que Donald se ridiculise encore d'avantage aux yeux de la classe politique, mais pas des américains les plus tarés... Il avait été jusqu'à commander des sondages à une grande maison spécialisée dans l'électorat de droite, dans l'Iowa et dans le New Hampshire. Donald voulait savoir s'il avait ses chances au vu de la déferlante du Tea Party qui semblait arriver à son apogée. Pas du tout. Mais cela avait fini par se savoir et faire rire, et du même coup, l'avait contraint à faire semblant d'être en lice, pour garder la face.


Cette sombre histoire de certif. aura un épilogue presque sanglant le 27 avril 2011 quand Donald pénétra, avec la fière allure qu'on lui connait et son mannequin de femme sous le bras, aux White House Correspondents' Dinner. Le président des Etats-Unis avait ouvert les hostilités, suivi par Seth Meyers. Donald s'était fait clashé, à répétition, tout entier, sous les fous rires et les applaudissements. Ses business, ses goûts, ses cheveux, ses aspirations, son intelligence, tout avait été ridiculisé.     


Quelques semaines plus tard Donald jetait l'éponge. Mais sa présence dans les médias ne diminuait pas pour autant. Il restait un commentateur sollicité de l'actualité, Fox News oblige. Au point que les candidats républicains durent plus ou moins passer dans son bureau pour s'y faire adouber. Aucun n'avait apprécié car aucun ne le respectait. Mitt Romney, le sélectionné, avait détesté le soutien que Donald lui avait apporté en direct de son hôtel de Las Vegas. Mitt est mormon et patron d'un fond d'investissement, pas exactement le même monde. 


En 2014 intervient un évènement de très mauvais augure. Un journaliste de Buzzfeed, McKay Coppins, celui là même qui relate la trajectoire de Trump que je vous résume ici, passait par hasard quelques jours dans la résidence Trump de Palm Beach, temple du kitch. Le fruit de cette rencontre était un article des plus infamant à l'encontre de Donald, et un défi : 

"If history is any judge, Trump is about as likely to run for president in his lifetime as he is to accept follicular defeat." 
Début 2015, Donald assemble ses troupes et demande la préparation d'une campagne électorale. Il souhaite se présenter avant l'été pour occuper l'espace médiatique et rehausser les montants de ses contrats télé pour l'automne. Pour l'un de ses proches associés, c'était très clair : 
“You have to understand, we didn’t think we were going to win.” 
Il fallait tout de même paraitre crédible et pour ce faire, rien de tel qu'une bonne collecte de pognon. Seulement lorsqu'il essaie de recruter l'un des meilleurs dans ce domaine, Spencer Zwick, ancien allié de Romney, celui-ci décide de ne pas refuser catégoriquement et préfère orienter Donald vers une campagne qui saurait se passer de ses services. “I don’t know why you’re raising money at all” lui avait-il dit, lui suggérant de se positionner comme le candidat anti-establishment, au dessus du fric qui corrompt la politique.“That’s a great idea!” s'emportait déjà Donald. Et un de ses assistant d'assurer : 
The truth is, he would have raised money if he could have … Donald never had any intention of self-financing.”
Avec ça, Donald monte dans les sondages et pense que cela et sa fortune personnelle suffiront à obtenir les deniers nécessaires, auprès des milliardaires américains cela va s'en dire, pour mener la suite de la campagne. Mais à ce moment là, les mêmes qui lui avaient toujours refusé le respect, les politiciens de droite comme le "top 1%" s'amusaient encore de Donald qui n'était alors pas encore officiellement candidat. Les médias rigolaient aussi et doutaient qu'il se présente. En parlant d'un article contre lui dans le New York Post, il demandait à un de ses assistant :
“Why don’t they respect me, Sam?” 
Nous sommes en juin 2015 et Donald doute, mais la conférence de presse est déjà organisée, ses assistants ont promis une annonce importante. Pour qu'il se ressaisisse, un assistant se souvient lui avoir dit ceci : 
“I don’t know what’s going to happen in this election,” (...) “But no matter what, they’re gonna write about it a hundred years from now. And they’re never gonna be able to say you didn’t run.”
C'en était assez pour convaincre Donald. Il répétait ces mots à qui voulait les entendre : 
They’re never gonna say I didn’t run.” Le 16 juin 2016, descendu d'un escalator doré, il annonçait sa candidature et commençait à insulter les mexicains. 



Voilà comment Donald a fini par se présenter aux élections présidentielles américaines. On sait ce qu'il en a fait depuis, mais il faut voir l'ampleur du malentendu qui semble d'une manière ou d'une autre au coeur de la situation actuelle. En résumé :

  • Donald veut plus, mais c'est un gros beauf et dans la haute on ne l'aime pas. Passé une certaine quantité d'argent ou de pouvoir politique, on ne le respecte plus. Il s'enrichit mais reste exclu du sommet de la pyramide. Il convoite la politique et sous-entend dès que possible qu'il en sera bientôt.
  • Il gagne en popularité chez les tarés, grâce au certificat de naissance d'Obama, et est semi candidat une première fois en 2011. Il parvient à faire parler de lui, mais tout le monde en profite pour se foutre de lui, surtout l'élite, notamment le président. Il se retire. 
  • Un journaliste l'enterre et parie qu'il ne sera jamais vraiment candidat à l'élection présidentielle.  
  • 2015, toujours en manque de reconnaissance sociale et de respect de la part de l'oligarchie américaine, il songe à être candidat, par orgueil, pour clouer le bec de certains journalistes. Il pense également pouvoir en profiter pour booster ses audiences, forcement.
  • Un génie du financement de campagne électorale lui suggère de jouer le chevalier blanc, l'incorruptible. Il doute, mais poussé par l'orgueil, il devient candidat et écrase tous ces petits politiciens qui s'étaient foutu de lui. Il en profite pour donner tort aux médias. 
  • "Sa" stratégie d'outsider fonctionne. Il devient réellement virulent contre les castes qui s'étaient toujours dressées devant lui et qui lui avaient toujours refusé le respect. Il lamine la course à l'investiture, mais on rit toujours de lui, toujours plus fort, comme au White House Correspondents' Dinner du mois d'avril 2016, ici et .


Rien d'autre que son égo et son orgueil ne motive cet homme, rien. Il n'a jamais voulu être président, il voulait simplement qu'on le respecte. Le simple fait que cela puisse arriver est effarant. Et pourtant le voilà candidat républicain. Il y a une chose de terrible dont je viens de prendre conscience : c'est le dépit qui l'a nourrit. Et quand on voit la joie d'Obama d'en placer une bonne sur Donald... ça fait froid dans le dos. Je ne croyait déjà plus aux démocraties de marché et à leurs élections mais il faut avouer que ça a de la gueule comme ça, vu de loin. Peut importe le système ou la société, d'autres Trump arriveront, et avec eux espérons le, d'autres stratégies pour les contenir que du gros foutage de gueules.   



L'article original en anglais est ici. Super long, mais vraiment intéressant, bien écrit. Y a un podcast avec l'auteur aussi. 
https://www.buzzfeed.com/mckaycoppins/how-the-haters-made-trump?utm_term=.olVQzmPO6#.nqOlrZpMm

04/08/2016

MUSIC : Yo la tengo

C'est encore une raison d'aimer Adam Curtis et ses documentaires, pour moi en tous cas. J'ai découvert Yo la tengo dans The Trap : What happened to our dream of freedom (bête de docu sur la théorie des jeux, la guerre froide, la psychiatrie, et différents concepts de liberté (positive et négative)).
Notez que Curtis est connu pour ses bons goûts musicaux, il a notamment collaboré avec Massive Attack. Bref, j'ai découvert, y'a de ça quelques années, Yo la tengo. Groupe de rock indépendant US, actif depuis 1984, jamais devenu mainstream, ayant toujours pratiqué l'expérimental et le changement de style. Malgré la qualité de ce groupe, je laisse le hasard m'apporter d'autres morceaux.
Ouais, j'ai fonctionné de la même manière avec Aphex Twin.

Bref, "Today was a good day",  j'ai découvert celui-ci :



Les paroles :

"Saturday"

The room was filled with talk
For anyone listening
I found a spot by the door
With no one around

Let my mind go
Out of tune, out of tune

I kept a smile on my face
For anyone looking
Tried to turn away questions
Before he asked

Let my mind go
Out of tune, out of tune

I was engrossed in the film
Without really watching
Said, "Who's the guy with the gun?"
As if I was involved

Let my mind go
Out of tune, out of tune

Et comme je suis sport, je vous en mets deux autres, ceux utilisés par Curtis :





03/08/2016

MUSIC : Stranger Things

STRANGER THINGS - C'est une très bonne série, pour les générations 80's, surtout les plus âgés. C'est une sorte de thriller fantastique pour gamins, bourré de référence au cinéma de ces années, de E.T. aux Goonies, dans les images mais aussi dans le son. Perso j'ai une grosse affinité, pas réellement avec la musique des années 80, mais avec les sons qui la composent. Il a fallu attendre le troisième épisode pour que j'arrête de frissonner au générique. Les synthés sont fous, les références et les classiques font plaisir. Joy Divison, Tangerine Dream, New Order, The Clash, Toto, Peter Gabriel... Voilà une petite sélection des morceaux que j'ai commencé à écouter quinze fois pas jour.


02/08/2016

VIDEO : The ride of your life

On est où? On va où? On est qui? On fait quoi? Pourquoi? Autant de questions que je n'ai jamais réussi à arrêter de me poser, jamais réussi non-plus à leur trouver ne serait-ce qu'un début de réponse ailleurs que dans une pensée obscure bien au fond de mon crâne. Jamais vraiment réussi à coucher quoique ce soit sur papier. Le genre de truc dont je discute volontiers bourré avec les amis qui le supportent encore, le genre de truc qui poursuit un homme jusqu'à ce que parfois, la science donne une partie de la réponse, la version physique. "Matériellement, voilà ce qu'il se passe." Exactement dans le genre de cette vidéo qui ramasse certains phénomènes pour arriver dans une sorte de symbolique parfaite qui fait la jonction, au fond du crâne, avec la métaphysique(1).

Bref, regardez moi ça et on en parle autour d'un verre(2).

B.

1. Je pense que la physique et la métaphysique se répondent, qu'elles suivent sinon le même schéma, en mode "sur la Terre comme au ciel", quelque chose de complémentaire.

2. J'ai pris la liberté de couper un extrait d'une video de VSauce, un de ces gars formidable qui fait de la vulgarisation scientifique sur youtube. Désolé pour la qualité, on est sur blogspot... La vidéo en entier est juste en dessous et traite globalement du mouvement de la Terre et donc du Temps et de son aménagement par les sociétés humaines. Vaste sujet, d'une importance cruciale, encore un qui traine au fond de mon crâne sans que jamais je n'arrive à en sortir quoique ce soit sur papier... Ca viendra.



THE RIDE OF YOUR LIFE




LA VIDEO ORIGINALE

01/08/2016

Lyotard, le Temps, le désir, et le capitalisme

Voici quelques extraits de la postface de Jean-François Lyotard à Science-Fiction et Capitalisme, critique de la position de désir de la science (1974), de Boris Eizykman. Il y est question de Temps, de désir, de potentiel, et de capitalisme. C’est assez pointu, mais un peu moins que le bouquin en lui-même qui est difficilement abordable sans de bonnes bases en psychologie, psychanalyse, et les concepts qui gravitent autour. C'est un sujet passionnant que les implications du système sur cette chose essentiel à l'humanité qu'est le Temps. Vaste sujet sur lequel je n'ai pour l'instant pas beaucoup plus que des intuitions mais auxquels je compte consacrer pas mal de temps... 

PS: C'est moi qui souligne ;)

B.


Juste judex ultionis, donum fac remissionis ante diem rationis.
Toi le juge qui tire juste vengeance, fais-moi don de rémission avant que vienne le jour du Compte.

(...)

La question de la production du temps organisé, de la mémoire donc et de l’anticipation, à partir d’un procès supposé a-chronique, reste entière.

(...)

Maintenant imaginez deux choses : la première serait que l’heure de l’accomplissement ne sonne jamais, et que, comme pour les premiers chrétiens ou les millénaristes, l’avenir cessant d’être un événement pour devenir un véritable horizon, toujours repoussé, la réserve d’énergie potentielle ne cesse de se gonfler, et que s’aggravent l’inhibition du désir et le clivage des objets de son accomplissement désormais ineffectuable. Et la deuxième chose : que cette réserve énergétique soit remise en circulation, c’est-à-dire s’investisse derechef (mais toujours sous la condition de l’inhibition), du moins pour partie ; que se fassent donc des avances de restes énergétiques ; qu’avec ces avances de nouvelles « médiations » (pour parler comme Hegel) soient rendues possibles et que soit étendu le réseau des choses et des personnes investies par le désir, médiatisés. Alors on n’a pas seulement la temporalisation, mais la capitalisation, qui n’exige pas seulement une organisation des évènements en chronologies réglée, mais aussi, non sans paradoxe, l’anticipation de virtualités à venir en actes présents, c’est-à-dire le rapprochement de l’horizon des investissement libidinaux et économiques, le raccourcissement des perspectives. Le capital est par là une avance de temps faite par la mise à disposition actuelle d’un supplément d’énergie « normalement » disponible plus tard.
Il est clair que quand le banquier prête de l’argent, ce n’est pas de l’or, métal précieux, dont il fait l’avance, mais du temps ; il procure à son débiteur une avance de jouissance qui est une anticipation de durée : il le rajeunit puisqu’il lui « donne » des moyens qu’il n’aurait que plus vieux ; ou bien il le vieillit, puisqu’il le dote de l’âge plus élevé de ces moyens ; en fait il l’arrache à l’organisation chronique même dont il est pourtant l’incarnation en tant que maître inhibiteur. La même analyse vaudrait sans doute pour décrire les avances énergétiques que l’entrepreneur obtient de ses acheteurs (sous la forme de la différence entre les coûts de production et les prix de vente) ou de ses ouvriers (travail payé en fin de mois). Si on la poursuivait, on comprendrait non seulement que le capital n’est pas une chose, mais qu’il n’est même pas un rapport entre des hommes ou des fonctions sociales : il est une relation du désir à lui-même, un retour sur soi par lequel la dépense d’énergie se retarde « pour » pouvoir s’anticiper. Ce qui permet de comprendre qu’au cœur de ce dispositif libidinal, où se joue un tel jeu sur le temps, la formation de la temporalité soit en effet une pièce maîtresse.

(...)

Le capitaliste, c’est-à-dire l’instance qui détient, de quelque façon qu’on imaginera (par sa naissance en vieille bourgeoisie, par son « mérite » personnel ou sa « chance » de self made man, par son appartenance à l’appareil du parti « communiste »), qui détient donc ou croit détenir et fait croire à tous qu’il détient cette réserve, donc qui est placé à l’endroit où le désir inhibé se referme en potentiel et en pouvoir, le capitaliste ainsi entendu est le faiseur d’avances de temps, d’un temps à venir identique au temps passé.
Le désir inhibé en réserve, épargné, va trouver en lui justement le moyen de son actualisation : vous voulez ne plus attendre, vous voulez détruire le retard imposé à la jouissance ; le capitaliste vous donne le moyen d’anticiper l’avenir, de rapprocher de vous l’horizon des actes désirés, en cela identique à l’usurier, et donc au diable, à un anti-dieu (ou au fils de dieu) capable de déranger l’ordre des temps institué par dieu. Méphisto vend la jouissance cash. Mais où le capitaliste est un bon diable, c’est que le prix à payer n’est pas usuraire, le loyer de l’argent n’étant que le coût de l’avance chronologique qu’il vous fait, et le temps se prêtant aux mêmes conditions générales de négoce que n’importe quelle marchandise puisque temps et marchandise, c’est toujours des quanta d’énergie. Le diable vous extorque la vie éternelle contre la jouissance, usant précisément de cette propriété qu’a la libido de n’être pas comptable en temps chronique secondaire, donc de sa faculté de donner un infini de temps contre une seconde, puisqu’il y a un infini aussi dans la seconde, - vue libertine acérée contre laquelle Blaise Pascal eût été mieux inspiré de ne pas parier. Le capitaliste vous demande seulement 10%. 10% de quoi ? De votre temps organisé diachroniquement, de ce qu’on appelle votre vie, c’est-à-dire de votre énergie libidinale inhibée, quantifiée, identifiée.

(...)

La mort capitaliste n’est pas une face d’un processus dialectique (ça, c’est ce que dit le réformisme), et pas non plus l’œuvre de la domination d’un grand Scélérat, prêtre, despote, banquier (image paranoïaque). Elle est l’inhibition du désir, son rabattement, sa mise en réserve et sa dépense anticipée, et tout cela est un dispositif libidinal même, un dispositif d’accélération des accomplissements de désir, qu’on a appelé progrès, développement... Ce dispositif offre les traits de temporalité « rationnelle » que l’on connaît : calendrier, comptabilité des échéances, intérêts composés, etc., lesquels supposent la ligature de l’atemporalité pulsionnelle dans le double réseau de la distribution des postes présent-passé-futur, et de la composition des investissements libidinaux en quantités additionnables et annulables. C’est bien une mort, on pourrait y détecter quelque chose comme l’aliénation. C’est cette mort qui se nomme survie. On n’y opère que par des signes comme échangeables, les singularités en sont exclues comme l’inappréciable ; le futur lui-même, l’évènement, l’étrange y sont négociables. L’image du capitaliste – qui n’est pas forcément quelqu’un, mais que chacun de nous est en partie en tant que tout désir s’instancie en ce dispositif de pouvoir – cette image est la figure de cette mort par inhibition.
Le capitaliste est toujours déjà mort selon cette figure, c’est pourquoi il ne meurt pas. Son temps se reproduit lui-même identique à soi : toute consommation est une production, toute destruction un potentiel d’investissement, et toute mort un simple petit déplacement sur place de l’instance du Présent (dit) Vivant – en même temps que toute production est destruction et tout investissement dépense. Son temps est comme le caoutchouc d’une fronde : les prélèvements financiers qui sont des retraits d’énergie permettant, réinvestis, des gains d’énergie et des avances de jouissance. Comme le Benedict Howards de Jack Barron et l’éternité[1], le capitaliste est l’éternel, et donc le mort comme perpétuel survivant : « cercle noir de la mort » toujours repoussé, horizon toujours différé, calcul sans fin, permanence qui n’est plus permanence de rien, mais simple perduration.   

(...)

Il faudrait distinguer ce potentiel du pouvoir proprement dit. Le potentiel occuperait une position intermédiaire entre pouvoir et puissance. Non pas puissance, force, au sens de Nietzsche, laquelle n’est jamais donnée qu’en acte, mais pas non plus simple pouvoir, qui est seulement la violence du potentiel, la menace qu’exerce le détenteur ou le contrôleur des réserves constituées de puissance sur les désirs inhibés. L’homme du potentiel n’est pas cruel comme un despote, il est cruel comme un théorème. Sous quelles conditions a-t-on le droit de dire ou faire telle ou telle chose ? Voilà la seule question qui engendre ses vraies émotions. (Et il ne fait pas nécessairement une belle carrière dans l’édifice bureaucratique du despotisme£. Le désir de vivre abstraitement la non-vie peut l’incliner à se faire rejeter pas les appareils du pouvoir.) Le potentiel n’est pas le pouvoir, mais un rapport à la puissance, qui est supposé par cela même que nous décrivons sous le nom de capitalisation : recueillir la puissance, en définir les conditions d’opérativité, soit le rapport entre investissement et revenu comptable. On est bien déjà dans l’esprit du capital avec le potentiel, mais pour autant seulement que ce dernier requiert l’esprit de la science accumulative qu’on vient de dire, l’esprit de la mort-survie, « ivresse d’un non-amour ».



[1] N. Spinrad, Jack Barron et l’éternité, R. Laffont. 1971.



BONUS
Un extrait du bouquin, quand même :)

CHAPITRE I

la science

Les trois modèles théoriques [1] auxquels nous avons eu largement recours, axés sur l’étude des configurations libidinales bloquées en systèmes sociaux, convergent de façon remarquable, tout au moins en ce qui concerne la figure du capitalisme. De son mécanisme et de qu’il machine, si la signification diffère de l’un aux autres – réduction sémiologique du symbolique, flux décodés et déterritorialisés pris dans une axiomatique des quantités abstraites, mise en échangeabilité de l’énergétique dans le système axiomatique clos – la « référence » reste identique : le capitalisme est une machine monstrueuse qui attire et intercepte tous les flux (l’énergétique), les fait travailler, les métamorphose en produisant des objets quelconques mais échangeables à l’intérieur du système par la consommation de plus en plus étendue d’énergie, qu’il stupéfie et soumet en réseaux où circulent les objets dépouillés de toute autre valeur que différentielle [2] : transformation, réduction de la différence (l’énergétique) en opposition (l’échangeabilité).
Prenons les choses dans l’autre sens ; c’est ce règne absolu de la valeur d’échange qui dévoile le désir du capitalisme ; un système immanent [3], sans codes, sans territorialités réelles (pas d’ancrage affectif) sauf celles (toutes) qu’il récupère pour produire de la valeur d’échange, se chargeant d’anéantir tous les flux libidinaux, tout ce qui procède de la jouissance et de la mort (déliaison ultime, irréversibilité), et de vomir imperturbablement, indéfiniment, les objets réversibles qu’il aligne, comptabilise, échange... ère du fongible et du cyclique . Ce n’est que cela, l’ultime système de réduction des forces pulsionnelles, bien plus subtil que les codes – il est immanent – bien plus féroce que Jahvé ; il ne laisse strictement rien échapper, il ne donne pas, machine à disposer les forces, à les annuler, à les consommer, et à créer de la consommation sur les produits de cette consommation ; fascination devant cette forclusion totale et ses conséquences, échangeabilité pure, système quasi parfait dont la mort ne peut survenir que par l’avènement d’un désir-mutant, cercle noir foudroyant qui, bien loin de s’estomper, active la délitescence du désir-rejet ultime : la déliaison énergétique, le franchissement révolutionnaire inconscient.



[1] J.-F. Lyotard, G. Deleuze, F. Guattari, J. Baudrillard. Voir également P. Klossowski (Nietzsche et le cercle vicieux, Mercure de France ; La Monnaie vivante, Losfeld).
[2] La mesure unique est le temps de travail social moyen, lui-même marchandise ; on ne sort pas du système de l’échange.
[3] On comprend mal le rôle transcendant que Deleuze et Guattari font jouer à l’oedipe dans le capitalisme ; cf. Séminaire eco.po eco-li, 13.4.72. M. Mac Luhan témoigne : « le cercle de famille s’est élargi. Le Trust mondial d’information engendré par les moyens de communication électriques – films, Telstar – l’emporte de loin sur toute influence que papa et maman peuvent tenter d’exercer. » P.14, Message et Massage, J,-J,-Pauvert.

 
CAMARADES