"La vérité - comme le Moi - est fractionnée, éparpillée sur des milliers de killomètres et d'années ; on en trouve des morceaux ça et là, disséminés dans l'espace et dans le temps, qui doivent être collectés ; il y en a chez les naturalistes grecs, chez Pythagore, Platon, Parménide, Héraclite, dans le néoplatonisme, le zoroastrisme, le gnosticisme, le taoïsme, chez Mani, dans le christianisme orthodoxe, le judaïsme, le brahmanisme, le bouddhisme, l'orphisme et les autres religions à mystère. Chaque religion ou philosophie, ou philosophe, en contient un ou plusieurs fragments, mais le système total l'imbrique de telle manière que finalement, l'ensemble est faux. Chacun de ces systèmes doit donc être rejeté en tant que tel. Aucun ne doit être accepté aux dépens de tous les autres (par exemple, en disant : "je suis chrétien" ou "je crois en la parole de Mani"). C'est une idée fascinante : ici, dans ce monde spatio-temporel, la vérité est à portée de main mais fractionnée sur des milliers d'années et des milliers de kilomètres ; je l'ai dit, elle doit être recueillie, rappelée comme doivent être le Moi, l'Ame, l'Idée (eidos). Telle est ma tâche.
Dans ce cas, tout système donné fait en soi partie du piège aliénant de l'illusion trompeuse : en d'autres termes, dès lors que je me déclare en faveur de tel ou tel philosophe ou système, je me retrouve encore (ou d'avantage) asservi. Evidemment, cela signifie que je ne pourrai jamais formuler d'explication/solution intégrales, authentiques, complètes. Je peux rappeler/me rappeler sans relâche, me rapprocher sans cesse du but (...)"
"Etre sauvé veut réellement dire "se souvenir" (de sa véritable identité, de sa véritable situation, de sa véritable histoire) ; au premier abord cette thèse ressemble à l'anamnèse de Platon, mais en réalité elle est gnostique au sens le plus large du terme, elle est connaissance considérée comme ontologiquement primordiale en ce qui concerne à la fois l'individu déchu et, au-delà, la réparation cosmique. Telle est en effet l'essence du gnosticisme : non pas la gnose en tant qu'elle entraîne la rédemption, mais pour sa valeur et sa signification ontologiques, sa nature absolument primordiale, en tant que chose première. Ainsi, en dernière analyse, le gnosticisme accorde-t-il la priorité la plus élevée au fait de connaître et considère-t-il l'épistémologie comme l'égale du divin ; en effet, la quête gnostique, épistémologique, est en elle-même en tant que recherche véritablement divine : c'est l'assise la plus élevée de la vie spirituelle, et telle est ma vision de l'épistémologie. Rien n'est plus important à mes yeux. Si le gnosticisme est donc pour moi le but inexorable, c'est que la prémisse du gnosticisme est celle où s'ancre ma vie mentale ; ainsi, pour moi, dire que le gnosticisme est la solution revient à énoncer une tautologie, mais pleine de sens. C'est ainsi que pour moi la vie spirituelle, mentale, le gnosticisme, l'épistémologie, la rationalité et la connaissance ne font qu'un. Et la quête a autant de valeur que le but de la quête : la quête est la vie dynamique de l'esprit. Connaître, c'est être. D'où cette exégèse. Elle est le dynamisme même de ma vie."
Philip K. Dick, L'Exégèse volume 2, p.288-289 / p. 688-689, février 1982, traduction de Hélène Collon (J'ai lu / Nouveaux Millénaires)
Via Pacôme Thiellement